Bridget, un "plagiat" qui met Causette en colère

Laure Daussy - - 0 commentaires

Un nouveau magazine "féministe" a fait son entrée en kiosque ce mois-ci, Bridget. Lorsqu'on le feuilette, surprise, il ressemble étrangement à Causette, magazine féministe lancé en 2009. Grégory Lassus-Debat, directeur de la publication et fondateur de Causette dénonce dans rue 89 un "plagiat", qui pourrait même être selon lui une forme de vengeance suite à une enquête gênante pour le patron de presse Frédéric Truskolaski.

La Une, qui présente une jeune femme rigolote avec de la mousse à raser, pourrrait être celle de Causette, la devise inscrite en dessous du titre également : "Parce que le féminisme n'est pas un gros mot". Mais il s'agit de Bridget, nouveau magazine en kiosque ce mois-ci. Grégory Lassus Débat dénonce un"plagiat" dans une interview à Rue 89. "Bridget a plagié la maquette, la position éditoriale, la typographie de Causette", détaille-t-il à @si. Parmi les emprunts à Causette, la rubrique "On nous prend pour des quiches" devient par exemple "Au secours".

En effet, lorsqu'on feuillette le journal, on découvre effectivement une maquette très similaire. Regardez ces montages de Rue 89 :

"C'est du parasitisme et de la concurence déloyale", dénonce Lassus-Débat. "Il y a un risque de confusion" explique-t-il à @si. "Les gens qui ont entendu parler de Causette mais ne se souviennent plus du nom exact risquent de l'acheter lorsqu'ils le cherchent en kiosque".

@si s'est procuré le magazine. Les lectrices de Causette qui voudraient l'essayer pourraient être un peu déçues. Le blog féministe Crêpe Georgette, n'est déjà pas convaincu (mais ne l'était pas davantage par Causette). Lorsqu'on feuillette le magazine, à première vue, les thèmes proposés dans le sommaire semblent plutôt intéressants, sauf que l'on se rend très vite compte qu'il ne s'agit que de réapropriation d'articles ou de tribunes qui ont déjà fait le tour des blogs féministes ces dernières semaines.

Exemples de sujet traités : Valérie Pécresse qui était interrogée sur le journal des femmes et qui accumulait les clichés, comme "les pères n'ont pas envie de changer les couches", une interview qui avait fait réagir sur les réseaux sociaux féministes. Un article sur les Antigones, collectif de femmes qui s'est réuni en opposition aux Femen, le sujet avait déjà été sur le site ici par Alain Korkos, ou encore ici,ou ici. Un article sur le harcèlement de rue, qui fait référence à un film d'une féministe belge dont nous vous parlions ici. Ou encore, sujet bien connu sur @si, le sexisme dans les jeux vidéo, lancé par la blogueuse Mar_Lard qui avait réalisé un dossier sur le sujet et avait suscité beaucoup de reprises. Nous y avions consacré une émission. Signalons quand même un sujet sur le sport féminin, à propos d'une pétition pour appeler à ce que le Tour de France soit ouvert aux femmes, sujet qui a moins été traité par ailleurs dans la presse.

Qui est à l'origine de ce magazine? Sur l'Ours, on découvre qu'il s'agit de Frédéric Truskolaski. Il se trouve que Causette avait précisément réalisé une enquête pour dénoncer les pratiques plus que douteuses de ce patron de presse ( enquête en ligne aussi sur Rue 89). Pour Lassus-Débat, ce "plagiat" qui sort 4 mois après cette enquête, "c'est une sacrée coincidence". Et d'estimer même qu'il pourrait s'agir d'une "forme de vengeance" de la part de Truskolaski.

Que découvrait-on dans l'enquête de Causette ? Truskolaski, jusque-là, était spécialisé dans la presse "people" ou "real life", expliquait Causette. Avec des titres éloquents : " "Gossip!", "Showbiz", "Oulala!" ou "People addict". Il a fondé 5 sociétés ("People Story", "Miss", "Lolie", "20Ans" et "Medias People) qui abritent plus d’une trentaine de publications, dont certaines ont déjà disparu des kiosques, pour des tirages allant de 60 000 à 100 000 exemplaires.

Particularité de ces magazines : le recours aux faux témoignages. Causette s'était ainsi procuré une charte interne qui expliquait que pour un témoignage, "le ton adopté est celui de la confidence, le témoignage doit être le plus crédible possible".

"Les témoignages doivent être rédigés au féminin", précisait encore le document. Jongle[z] entre les tons, pour pouvoir plaire aussi bien à des jeunes filles qu’à des femmes plus matures" . "Le pire, c’est les articles de santé. J’invente des problèmes et aussi la réponse du docteur en allant me renseigner sur doctissimo.fr", témoignait une pigiste auprès de Causette.

Dans une enquête à propos de la relance du magazine "20 ans" en 2009 par le même Truskolaski, 20 minutes dénonçait les combines du patron de presse pour lancer le magazine à moindres frais : une rédactrice en chef - stagiaire - âgée de 19 ans, encore étudiante, et le paiement des rédactrices qui "s’apparente à de l’argent de poche: 20€ l’article de 2 à 3 pages, 10€ pour une page, et 5€ quand l’article fait moins d'une page."

Difficile de joindre le directeur de Bridget : aucun contact, ni mail, ni numéro ne figurent dans l'ours du magazine. Nous avons réussi à nous procurer son numéro, mais il ne nous a pas rappelé. Tous les journalistes de Bridget semblent écrire sous pseudonyme, comme le laissent entendre les noms " Simone Beaupoil", ou encore "Henriette Arnaud", dont on ne retrouve aucune trace sur google.

Pas sûr qu'il y ait un second numéro de Bridget. "C'est le spécialiste du numéro 1, explique à @si Lassus-Débat. C'est à dire qu'il lance un nouveau magazine, sans suite. "Ca lui permet de bénéficier des aides de Presstalis, puisque c'est une coopérative d'éditeurs qui a mis en place des aides pour les premiers numéros de journaux". Si les nombreux emprunts de Bridget à Causette sont critiquables, le magazine Causette n'est pas en péril non plus. "On devrait vendre 60 000 exemplaires cet été" estime Lassus-Débat.

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