Boulin : ce que disait le sourire de Taddeï
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesEt Taddeï souriait.
Autour de lui, s'écharpaient les tenants du suicide de Robert Boulin, et ceux de l'assassinat. Et les étangs de la forêt de Rambouillet. Et les lividités cadavériques. Et les ecchymoses. Et l'autopsie sous contrôle. Et les photos du corps. Et Chirac. Et Foccart. Et le SAC. Et Michelle Cotta-Peyrefitte-m'a-dit-et-de-toutes-manières-il-faut-une-femme. Et ce-que-vous-dîtes-est-scandaleux. Et laissez-moi-parler-s'il-vous-plait. Et la Résistance. Et la résurrection en direct des Dossiers de l'écran. Et Taddeï s'esclaffait.
Dans cette affaire Boulin, qui n'en finit pas de resurgir (avis aux retardataires, nous y avons consacré un dossier), de deux choses l'une. Soit le ministre du Travail s'est suicidé en 1979. Soit il a été assassiné. Dans les deux cas, pour des raisons différentes, c'est grave. S'il a été assassiné, avec ce que cet assassinat suppose de complicités "au plus haut niveau de l'Etat", comme on dit, pas besoin de faire un dessin sur la gravité. Chirac, Barre, une bonne partie du RPR (l'UMP de l'époque), des policiers, des gendarmes, des magistrats, des médecins, complices d'assassinat sur la personne d'un ministre dérangeant, c'est tout de même ennuyeux pour un état de droit. Et si Boulin s'est bel et bien suicidé, c'est ennuyeux aussi, pour une autre raison: cela veut dire que l'on entretient depuis des années un débat bidon pour amuser la galerie, avec la complicité de médias installés, au premier rang desquels France Inter, où officie le chef de file des tenants de l'assassinat, Benoit Collombat, qui distille des scoops tous les trois ans, avec une régularité d'horloge comtoise.
Au-dessus de ces deux hypothèses aussi désagréables l'une que l'autre, s'élevait donc, crépusculaire, le sourire de Taddeï. On le connait bien. C'est le fameux sourire "on ne me la fait pas". Un modèle éprouvé, pertinent en toutes circonstances, et en l'occurence dans les deux hypothèses. Aux partisans de l'assassinat, il dit: je suis comme vous. Je sais bien que la France est une République bananière, capable du pire, et où les affaires ne sortent jamais. Il en a été, il en sera toujours ainsi, et il faut faire avec. Aux tenants du suicide, le sourire dit: je suis avec vous. Je sais bien que la thèse du complot ne résiste pas une seconde à un examen rationnel. Je sais bien que je vous offre un débat de pure diversion, de pur divertissement, mais que voulez-vous, il faut bien donner la parole aux fadas, et on ne peut pas parler du 11 Septembre chaque semaine. A lui seul, ce sourire résumait le dispositif de la télévision publique (un documentaire pour le suicide la veille, un téléfilm pour l'assassinat le lendemain), et cet étrange environnement de scandales zombies, ni vraiment morts ni tout à fait vivants, dans lequel nous sommes assignés à résidence.