Borgen, fiction exotique
Daniel Schneidermann - - Fictions - 0 commentairesVous êtes premier ministre occidental.
Et vous devez prendre une décision sur l'Afghanistan. Rester, partir ? Vous devez décider, au milieu des folles pressions contradictoires. Les partis de votre majorité gouvernementale. Les chefs militaires. Les parents des soldats morts. Tous tirent dans tous les sens, avec les meilleures raisons du monde. Le lendemain, c'est plus calme : vous devez nommer un commissaire européen. Qui choisir ? Le meilleur possible, ou bien un allié encombrant, un fidèle embarrassant, un mentor que vous souhaitez exiler dans l'oubliette bruxelloise ? Et au milieu du tourbillon, votre ex-mari vous presse d'accélérer la signature des papiers du divorce. Ah oui, parce qu'en fait, vous êtes Première ministre. Avec un gamin qu'il faut emmener à la patinoire ou à la gym, et que vous trimballez au Château avec vous quand vous ne savez qu'en faire le mercredi, car on est au Danemark.
Obstacles, chausse-trapes, enclumes qui tombent du ciel : il y a du jeu vidéo, dans la série d'ARTE, Borgen, centrée sur le personnage de Birgit Nyborg, première ministre du Danemark. Birgit-Lara Croft va-t-elle survivre aux trahisons ? Aux drames de conscience ? Aux questions perfides des journalistes ? Va-t-elle se relever une fois de plus ? Mais oui, elle se relève. Il y a du jeu vidéo efficace, addictif, captivant. Et culotté, car il faut oser construire des scénarios autour du retrait d'Afghanistan, de la nomination d'un commissaire européen, ou de la réforme des pré-retraites. Reste une question : pourquoi ARTE a-t-elle décidé de programmer non pas un, non pas deux, mais trois épisodes le même soir, au risque de coller une indigestion aux spectateurs les mieux disposés ? Je n'ose penser que la réponse a quelque chose à voir avec le mépris profond des chaînes françaises pour les fictions qu'elles diffusent, dont nous entretenait l'autre semaine Martin Winkler, dans sa conversation avec Rafik Djoumi (tiens, d'ailleurs la dernière émission de Rafik, sur les fictions françaises, est en ligne).
N'empêche qu'ils sont reposants, ces Danois. Pas de triche. Pas de fraude. Pas d'urne bourrée. Pas de recomptage des voix d'outre-mer. Pas de commission cocotier. Pas d'enveloppe baladeuse sur le canapé d'une milliardaire. Je ne vise personne, n'est-ce pas. Une vraie soirée de détente. Ce rêve, ce fantasme, de politiques qui auraient des convictions: c'est encore plus exotique qu'un Capital chez les riches.