Bienvenue à Merahland

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Dans la famille Merah, je demande le père.


Car le monstre avait un père. Et quelle aubaine: monstrueux lui-même -mauvais sang ne saurait mentir- le père Merah annonce son intention de poursuivre en Justice la France, qui a abattu son monstre de fils. Faut-il vraiment, toutes affaires cessantes, solliciter la réaction de tous les politiques qui passent à portée de micro ? Savoir ce que pense Pierre Laurent, secrétaire national du PC, de l'intention du père de Merah de poursuivre la France, est-ce vraiment la première question que se posent les Français en ouvrant l'oeil ? Ledit Laurent ayant bafouillé une phrase dans laquelle, tout en précisant qu'il n'a rien à dire, il explique néanmoins "comprendre la détresse" du père de Merah, cela doit-il pour autant faire l'objet d'une dépêche AFP ? Faut-il vraiment, en ouverture du journal, comme hier soir France 2, offrir aux télespectateurs un objet de haine bon marché, en diffusant une interview du père Merah ?

Dans la famille Merah, je demande la mère, le frère, la belle-soeur, les ex-voisins, les copains de ski. C'est toute une bondieuserie à l'envers, qui se déploie en guirlande. Tout un parc d'attraction sur le thème du Démon. Sur vos chaînes, dans vos journaux préférés, bienvenue à Merahland.

Dans la famille Merah, je demande les images. Les autres: celles qu'on n'a pas vues, et qu'on ne verra pas, enfin pas tout de suite, les images des tueries tournées par le tueur. C'est le clou infâme de l'attraction. Dans le parc, c'est le pavillon interdit, celui du Tabou, dont l'équipe de surveillance au complet, grosses clés à la ceinture, se relaie pour interdire les portes. La traque en direct, les rescapés surpris en gros plan dans leur stupeur et leur douleur, le voyage en direct des cercueils, les détonations de l'assaut en direct, toute la famille du monstre, oui. Mais ces images-là, dont les précédentes ne constituaient au fond que le teasing, non, non, non. Toute la journée d'hier, on a entendu tous ceux qui répétaient qu'ils ne nous les montreraient pas, qu'ils ne les diffuseraient pas. On n'a entendu qu'eux. Comme si, à Merahland, il n'y avait pas d'autre urgence que de marquer que nous sommes tous du même côté, du bon, du côté des visiteurs horrifiés. C'était assourdissant, ce concert des indignés. Les mêmes, qui étaient en train de se battre pour décrocher les images de l'interview du père Merah, et les diffuser en ouverture du journal du soir, les mêmes nous rassuraient: les images des tueries, jamais, nous laissant seuls, avec des questions sans réponse sur les frontières de l'obscénité.

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