BHL et Match : fausse alerte au pré-génocide au Nigéria ?
Loris Guémart - - Déontologie - 50 commentaires"Envoyé spécial" au Nigéria, Bernard-Henri Lévy a dénoncé jeudi 5 décembre dans Paris Match, et le même jour sur France 5, l’amorce d’une épuration religieuse des chrétiens par un "djihad" des Peuls. Problème : inexact sur de nombreux points, y compris sa thèse centrale, ce reportage publié comme un exercice journalistique ignore le travail existant et les conclusions des spécialistes, qui ont vivement réagi. Contacté par ASI, il nous a répondu en détail. Ses réponses sont publiées in extenso à la fin de cet article.
Les journalistes français présents au Nigéria, comme les universitaires et ONG spécialistes du pays, se sont étranglés en lisant un reportage grand format publié jeudi 5 décembre dans Paris Match, à propos des attaques récurrentes entre bergers nomades et fermiers sédentaires dans le centre du pays. Son auteur ? Bernard-Henri Lévy, "parti enquêter sur place", annonce l’hebdomadaire. L'activiste-essayiste-philosophe y dévoile un début de génocide, dont il estime qu’il pourrait s’avérer similaire à celui du Rwanda si rien n’est fait, répète-t-il le soir même dans C à vous, sur France 5. "Tout est en place pour un nettoyage ethnique", annonce d’ailleurs Paris Match sous le titre de cet article, publié et présenté comme un travail journalistique. Majoritairement musulmans, désignés dans tout l’article sous le nom de Fulanis, leur nom au Nigéria anglophone, les Peuls "s’attaquent aux paysans chrétiens du Sud", expose Match.
Témoignages et affirmations sans preuves
Cette "enquête" débute par un long récit à la première personne, fait de témoignages de victimes exclusivement chrétiennes de ces affrontements, qui ont fait plusieurs milliers de morts et quelques centaines de milliers de déplacés ces dernières années dans le pays de 212 millions d’habitants. Ils sont appuyés par quelques propos recueillis dans la rue auprès de Peuls affichant une détestation des chrétiens. Le texte se poursuit par une analyse. "Les Fulanis, c’est la sauvagerie de Boko Haram étendue à tous les mécréants – chrétiens et musulmans – du Nigéria", affirme BHL. "L’armée est complice des Fulanis", "l’état-major de l’armée nigériane est fulani", tandis que "l’administration toute entière est noyautée par les Fulanis", précise-t-il. "Laissera-t-on l’histoire se répéter au Nigéria ?", interroge l’auteur. Revenu de ce reportage "au cœur des ténèbres nigérianes", BHL lance donc un "SOS Chrétiens du Nigéria".
Jeudi 5 décembre, jour de la publication dans Paris Match, BHL est également reçu dans C à vous, sur France 5. Seul en plateau à évoquer son reportage, il expose à nouveau sa thèse pendant une dizaine de minutes, sans aucun moment de contradiction. Pourtant, les révélations s’enchaînent, terrifiantes. "Il y a là un nouveau front islamiste", qui représente "un Sahel puissance 10", affirme le philosophe-journaliste. "J’ai accumulé un grand nombre d’indices concordants qui prouvent que l’Etat nigérian […] est complice de ces opérations de nettoyage ethnique et de liquidation des chrétiens", ajoute-t-il sans en évoquer aucune.
Offensive médiatique en plusieurs langues
Alors, "il est encore temps de stopper la machine à tuer, encore temps d’éviter que ça devienne le Darfour et même le Rwanda", assure celui qui veut "jouer le rôle très modeste d’un lanceur d’alerte". Également menée dans El Español, une publication en ligne madrilène, dans le supplément culturel du journal mexicain El Universal, et dans le quotidien italien La Stampa, l’offensive médiatique a partiellement fonctionné en France. Ces dernières 72 h, plusieurs médias ont repris l’alerte lancée par BHL, tels Valeurs Actuelles, Europe 1, Atlantico ou Info Chrétienne. Des responsables politiques sont aussi montés au créneau sur Twitter, à l’instar de Manuel Valls ou de Valérie Pécresse.
Des journalistes et chercheurs en colère
Pourtant, dès le jour de la publication, Twitter bruisse de la colère des spécialistes du Nigéria. Celle des journalistes de l’AFP sur place d’abord, dont l'une critique publiquement un "ramassis de mensonges". Pourquoi cette virulence ? Parce que, alors que BHL déclarait sur France 5 que "dans la presse, personne n’en parle", l’AFP avait publié ces derniers mois de nombreux articles, photos et vidéos largement repris dans la presse française, du Monde à La Croixen passant par TV5Monde ou Le Point. Ce travail, salué par les confrères et spécialistes contactés par ASI, avait été mené dans le cadre d’une initiative inédite pour l’agence de presse, très fortement mise en avant sous l'intitulé "Special report on Fulani"
sur son site dédié aux clients professionnels… dont Paris Match fait partie (la directrice adjointe du bureau nigérian de l'AFP a d'ailleurs supprimé un tweet critique, et la direction de l'agence de presse n'a pas souhaité qu'ils s'expriment auprès d'ASI). Ces affrontements au centre du Nigéria sont en effet bien connus des journalistes spécialisés, mais aussi des ONG, avec par exemple des enquêtes de terrain fouillées de Human Rights Watch, International Crisis Group et Amnesty International (rapport complet ici).
Douze chercheurs publient une réponse dans "Le Monde"
Ce samedi 7 décembre, douze universitaires et spécialistes reconnus du Nigéria publiaient dans Le Mondeune tribune féroce envers le travail de BHL dans Paris Match, décrit comme "un florilège d’approximations, de clichés et d’erreurs factuelles". Ils y rappellent surtout la conclusion des travaux menés ces dernières années, par les médias comme par les chercheurs et ONG : "Les questions religieuses ou communautaires sont souvent secondaires par rapport aux pressions économiques et écologiques et à l’échec de l’Etat à la réguler." Pour ces experts, "résumer la violence au centre du pays à un affrontement identitaire est extrêmement simplificateur" et "penser les éleveurs fulani comme de dangereux nomades radicalisés qui gâchent la vie de paisibles sédentaires chrétiens est faux". La notion de génocide, elle, a d'ailleurs été balayée par deux articles, l'un de l'AFP, l'autre de Radio Canada. ASI a contacté des journalistes et responsables d’ONG pour examiner certaines affirmations de BHL.
Un festival d'informations fausses ou approximatives
"Il y a là un Boko Haram élargi ; un Boko Haram en extension et rampant", écrit-il dans Paris Match. "Il y a une énorme confusion des genres. Communautairement parlant, Boko Haram n’est pas du tout Peul : les chefs sont Kanouri, et Boko Haram n’a rien à voir avec les Peuls, au contraire ! ", se désole un journaliste spécialisé d’une grande rédaction parisienne (qui a préféré rester anonyme). L'identification des Kanouris à Boko Haram est d’ailleurs un élément évoqué depuis de nombreuses années dans la presse internationale. Le même journaliste rappelle que l’armée et son état-major, contrairement aux affirmations de Match, sont à majorité Haoussa, autre grande ethnie majoritairement musulmane du Nigéria, dont la langue est effectivement dominante dans l'armée.
De graves accusations, sans preuves tangibles
Dans l'hebdomadaire figure l'allégation d’une complicité active du gouvernement nigérian : "Paris Match, c’est un journal, pas une revue intellectuelle, quand on n’a pas de preuve, on n’écrit pas…", commente sévèrement le journaliste interrogé. Amnesty International dément aussi une complicité de l'Etat. Après un an d’enquête de terrain, le rapport d'Amnesty blâme plutôt son inaction. Il examine par ailleurs des massacres commis par des Peuls, ainsi que des massacres où les Peuls ont été victimes de fermiers chrétiens. L’aggravation de la situation, réelle depuis deux ans, s’explique, selon l’International Crisis Group, par "la croissance des milices, la persistance de l’impunité et la mise en place d’interdictions de pâturage qui sont des anathèmes pour les bergers".
"Je réalise, en tout cas, que c’est une vraie guerre que mènent, en fin de compte, les Fulanis", affirme encore BHL dans Paris Match. "Il n’y a aucune preuve à l’appui de l’idée qu’il y a quelque chose d’organisé pour éliminer les chrétiens", assure auprès d’ASI Isa Sanusi, porte-parole d'Amnesty International au Nigéria. "Selon notre enquête, ça n’a rien à voir avec la religion, c’est entièrement un problème d’accès aux ressources et de criminalité", insiste-t-il. Sanusi précise d'ailleurs que d’autres provinces du Nigéria sont touchées par des affrontements entre bergers et fermiers de communautés toutes deux majoritairement musulmanes.
Le "Djihadisme peul", vieille antienne déjà démystifiée
Dans l’article de Paris Match, "la principale chose à déconstruire est qu’un Peul n’est pas un djihadiste", s’indigne pour sa part un journaliste spécialisé exerçant dans le Sahel, Anthony Fouchard. Cette idée a d’ailleurs été largement désamorcée par les universitaires et les journalistes. Elle était désignée en septembre 2018 comme un "fantasme"dans Le Mondepar l’un des signataires de la tribune de samedi 7 décembre, et de la même manière par l'AFP en juin 2019. "La seule vérité, c’est que personne ne connaît les chiffres, ni ne sait dans quel camp on tue le plus", note Le Monde à propos de ces affrontements entre fermiers et bergers, dans un autre article publié en février 2019.
Le "suprémacisme peul ancestral" a-t-il été "chauffé à blanc par de mauvais bergers", comme l’écrit BHL ? Ou peut-être est-ce BHL lui-même qui a été "chauffé à blanc" par l’ONG pentecôtiste qui l’a fait venir… "Tout ce que BHL écrit reprend plus ou moins les arguments de ces grosses ONG et églises évangélistes, et quand il écrit qu’on lui amène des témoins, on a l’impression que c’est une espèce de voyage organisé par les réseaux évangélistes, ils sont assez habiles pour ça", analyse l’un des journalistes interrogés. "Alors que les tueries continuent, les Nigérians créent et propagent des récits et des contre-récits de conspirations de nettoyage ethnique et même de génocide, tant par les fermiers que par les bergers", écrivait d’ailleurs l’International Crisis Group en 2018.
BHL déjà en reportage au nigéria pour Le Point en 1992
Paris Match aurait peut-être dû se méfier du philosophe qui se fait journaliste, BHL n’en étant pas à son premier reportage au Nigéria. En 1992, il publiait en effet un long texte sur Lagos dans Le Point. La plus grande ville du pays y est alors décrite comme un endroit "où le sordide le dispute au tragique". Une lectrice française au Nigéria, furieuse de voir ainsi qualifiée la ville, note que là où BHL raconte avoir visité les geôles, il n'a vu que la cour. En réponse, Le Point admet que de nombreux courriers furent envoyés à l’hebdomadaire pour y "porter des objections". Bis repetita
, donc, avec ce nouveau reportage dans le pays, aux conséquences potentiellement plus graves.
BHL répond aux critiques et maintient son analyse
Malgré plusieurs sollicitations d'ASI, Paris Match et C à vous n'ont pas répondu. BHL, lui, s'explique, dans un texte visant tant à répondre aux questions d'ASI qu'à la tribune très critique de spécialistes dans Le Monde. Voici nos questions et son commentaire in extenso.
Quand et combien de temps êtes-vous parti en reportage au Nigéria ?
Une courte semaine. Ce mois de novembre.
Quelle est l'association qui vous a invité à venir observer ce qu'il se passait ?
Cette association (chrétienne) craint les représailles et ne souhaite pas que je la nomme. C’est, à dessein, et pour la protéger, que je dis : "Une association prêchant le rapprochement entre les deux communautés, chrétienne et musulmane, qui se partagent le pays."
Y-a-t-il eu beaucoup d'allers-retours avec la rédaction, entre votre texte initial et celui publié dans Paris Match ? Savez-vous pourquoi ils ont choisi de lui donner la forme d'un travail journalistique ?
Non, bien sûr. Pourquoi des allers-retours? Juste le choix des photos. Celles prises par Gilles Hertzog. Et celles, plus anciennes, que m’a confiées l’avocat Dalyop Salomon Mwantiri et qui lui sont créditées. Quant à la forme journalistique, c’est la mienne et c’est mon choix. J’aime le reportage. Le Monde m’a souvent accueilli (Algérie, Darfour, ma série sur les guerres oubliées, au temps de Jean-Marie Colombani et Edwy Plenel). Aujourd’hui, c’est Paris Match – l’un des derniers bastions de cet art si précieux et, si souvent, menacé.
Pourquoi votre reportage n'évoque-t-il pas le travail conséquent fait sur le sujet par les grandes ONG, que ce soit Amnesty International, Human Rights Watch ou l'International Crisis Group, tous trois ayant publié des rapports détaillés et relativement récents ?
Précisément. Je n’ai pas fait un rapport, j’ai fait un reportage. J’ai relaté ce que j’ai vu et entendu, pas ce que j’ai lu dans des rapports. J’ai recueilli et filmé la parole de victimes qui n’ont, à mes yeux, pas moins de poids que les spécialistes - je n’ai pas compilé des études existantes. J’ai voulu me faire l’écho d’un torrent de souffrances et d’un concert d’appels à l’aide qui n’arrivent pas assez souvent jusqu’à nous – je ne me suis pas soucié des "travaux conséquents" de tel ou tel. Après, à chacun de rapporter les informations, témoignages, choses vues, que je ramène au reste du savoir existant (mais qui, sur la persécution dont sont victimes les Chrétiens est, hélas, terriblement lacunaire).
Pourquoi évoquer à plusieurs reprises Boko Haram, dont différents journalistes et universitaires spécialistes du Nigéria indiquent (comme les travaux de recherche) qu'il est très largement d'ethnie Kanuri, historiquement plutôt opposée aux Peuls ?
Parce que je pense, justement, que le prisme ethnique n’est pas le bon pour décrire cette tragédie. Pas plus, d’ailleurs, que le sempiternel prisme sociologique. Le bon prisme, au Nigéria comme ailleurs, est d’abord politique. Et le prisme politique est celui qui permet de voir 1. un djihad à l’offensive et 2. une haine qui cible les chrétiens en tant que tels. Ces deux traits font fi des différences ethniques et s’appliquent tout autant, pour reprendre votre distinction, aux extrémistes kanuri qu’aux extrémistes Peuls. Daesh comprenait des femmes et hommes de toutes origines : eh bien l’islamisme nigérian recrute, lui aussi, chez les Kanuri, chez les Peuls et chez d’autres. Il faut arrêter avec cette ethnicisation de la politique africaine. L’islamisme radical, ici aussi, rebat les cartes et rend obsolètes bien des catégorisations datant de "l’Afrique fantôme" chère à Michel Leiris.
Quant à l’influence de Boko Haram sur les Fulani, j’ai recueilli, là aussi, des témoignages peu contestables. Ils sont corroborés, s’il en était besoin, par : a) l’étude de Bolaji Omitola insistant sur la similitude des tactiques et la circulation des armes ; et b) le débat du 17 juillet 2018, à la House of Lords du Royaume-Uni, où la Baroness Cox, Lord Elton, Lord Alton of Liverpool et l’Archbishop of Canterbury, soutiennent le même point de vue.
Vous indiquez que l'administration tout entière est "noyautée" par les Fulanis. Plusieurs spécialistes s'en sont étonnés auprès de nous (en particulier concernant l'armée, traditionnellement Haoussa, comme pour l'exécutif dont le vice-président est un chrétien du Sud), comme de l'affirmation que le président Buhari "tenait" grâce au Qatar, à la Chine et à la Turquie. Possédez-vous ou avez-vous pu consulter des documents, ou obtenu des témoignages qui établissent ces faits avancés dans l'article (comme le caractère coordonné et volontaire de l'absence d'action du gouvernement) ?
Attention, une fois de plus, au discours ethnique. La distinction que vous faites entre les ethnies Hausa (nom anglophone des Haoussas, Ndlr) et Fulani n’a, face aux réalités d’aujourd'hui, plus grand sens. Le Council on Foreign Relations les regroupe. D’autres lesconfondent. Et la Harvard Divinity School en fait des quasi-jumelles. Cela dit, il y a trois questions dans votre question.
A) Le noyautage de l’appareil militaire et administratif par les Fulanis. C’est ce que dit le jeune avocat que je cite. Et, de fait, les grands postes régaliens (par exemple les ministères de la Justice, des Finances, de la Défense, de l’aviation) sont occupés par des Fulani. Le président est Fulani. Et, s’il est vrai que le vice-président est chrétien, son pouvoir est de pure forme – et les forces de sécurité sont, aux échelons les plus hauts, tenus par des Fulanis.
B) Tous les témoignages de rescapés sont unanimes. Non pas, certes, une action "coordonnée et volontaire" du gouvernement. Mais des forces de sécurité qui ferment les yeux, arrivent après la bataille et laissent s’installer une impunité générale. C’est, encore une fois, ce qui ressort des témoignages qui m’ont été confiés et qui forment la substance de mon reportage. Et je ne prétends donc établir ni une statistique ni une loi. Je vous renvoie, cela dit, et puisque vous le citez, au rapport d’Amnesty qui documente "l'échec du gouvernement nigérian à remplir ses obligations constitutionnelles de protection des vies et de la propriété privée en refusant d'enquêter, d'arrêter et de poursuivre ceux qui commettent des attaques. Le rapport montre comment l'inaction du gouvernement renforce l'impunité." Je vous renvoie aussi au rapport de Agnès Callamard, rapporteur spécial des Nations-Unies sur les exécutions sommaires, arbitraires et extrajudiciaires, où il est dit : "Dans presque tous les cas portés à mon attention pendant ma visite, aucun des assaillants n'avait été inculpé." Son témoignage, en d'autres termes, recoupe et corrobore le mien.
C) Je pense, oui, que, de plus en plus souvent, sur le continent africain, les trois pays cités prennent avantage du retrait des États-Unis et de l’effacement de l’Europe. Plusieurs témoignages en ce sens. Et une foultitude de documents – je les retrouve dans mes notes et vous les cite en vrac : concernant la Chine, la Turquie, et le Qatar, aussi ici, ici et là.
Concernant le cœur de votre thèse d'un début de nettoyage ethnique : comment expliquez-vous que les 3 ONG citées ci-dessus, qui ont réalisé de longues enquêtes, comme plusieurs journalistes spécialistes du pays, dont l'AFP qui a mené un travail de plusieurs mois en 2019, infirment frontalement votre propos, et arrivent tous à la même conclusion : la continuation et l'aggravation de conflits portant sur les terres disponibles pour éleveurs ou agriculteurs, avec des attaques meurtrières des deux côtés et une spirale de violence, mais sans génocide ou début de nettoyage ethnique et sans rapport direct avec la religion (des attaques entre éleveurs musulmans et agriculteurs musulmans ont ainsi été documentées par Amnesty) ?
Les journalistes ne sont pas toujours exempts de parti pris – à l’AFP comme ailleurs ; j’y reviendrai, si nécessaire.
Mais surtout :
1. Est-ce que vous en connaissez beaucoup, des « conflits portant sur les terres disponibles » où l’on mutile, viole, éventre et tue en masse ?
2. Est-ce que le Biafra, la Bosnie, le Rwanda, le Darfour, et j’en passe, ne nous ont pas appris à nous méfier de l’éternel argument de la "spirale de la violence" et du renvoi "dos-à-dos" des assaillants et des assaillis ?
3. Faut-il être aveugle pour, lorsqu’on mène de "longues enquêtes", ne pas voir les centaines d’églises vandalisées, incendiées ou désacralisées qui parsèment la ceinture de villages autour de Jos ? Soutenir, face à ce spectacle et face, par exemple, à la mise à sac de l’église Saint-Augustine qu’évoque le New York Times du 25 juin 2018 et où furent assassinés 17 fidèles et deux prêtres, qu’on a affaire à un conflit "sans dimension religieuse", c’est une banalisation du crime, un crachat au visage des chrétiens martyrisés et une insulte à la vérité.
J’ajoute, pour finir, que je n’ai pas dit, pour ma part, que les chrétiens étaient "victimes d’un génocide". J’ai dit que le Nigéria se trouve dans une situation qui devrait rappeler, à ceux d’entre nous qui ont un peu de mémoire, celle du Darfour, du sud-Soudan et du Rwanda avant l’accélération génocidaire. A nous de faire que cette accélération n’ait pas lieu. A nous de nous réveiller, cette fois, avant le désastre. Je ne suis pas de ceux qui croient que la philosophie doive se lever, telle la chouette de Minerve, à la tombée de la nuit. C’est pourquoi j’ai voulu, avant la nuit, faire ce reportage. Il vaut ce que j’ai vu. Il est tributaire, comme n’importe quel reportage, de ce que j’ai entendu et de ma propre sensibilité. Et il est là pour que le reprenne, l’enrichisse, voire le complexifie, qui veut. J’ai fait ma part.
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