BHL, au révélateur de l'entartage
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesSentiments toujours contradictoires, à chaque nouvel entartage de BHL
(le huitième s'est déroulé la semaine dernière à Namur, en Belgique). D'abord, une irrépressible, et un peu honteuse, jubilation. Rien à faire, on se sent vengés, d'un personnage aussi puissant qu'inaccessible, qui dispose à volonté d'une fortune familiale lui permettant de se téléporter où il le souhaite en jet privé, et d'entretenir un réseau qui supplée une radicale absence de légitimité (tout notre dossier est ici). Quelle que soit la légitimité de certains de ses combats, BHL est un personnage que personne n'a élu, qu'aucune autre forme de contestation ne peut atteindre, et à qui les medias mainstream continuent de s'ouvrir systématiquement, y compris encore après le désastre libyen, dont il porte une part de responsabilité. Quelque part, il faut bien que l'impunité se paie. Et un petit attentat pâtissier n'est pas cher payé.
Si l'on est un peu honteux de jubiler ainsi, c'est que tout de même l'entartage est une violence. Et une violence parfaitement théorisée par l'entarteur-tortionnaire historique de BHL, Noël Godin (dit Le Gloupier), exercée contre ce que cet homme d'influence a de plus cher : son image. Une violence condamnable, comme toutes les violences physiques commises avec une supériorité numérique, à l'égard d'une cible désarmée. Une violence d'autant plus pernicieuse qu'elle se grime sous les traits du comique, alors qu'il ne s'agit pas de ridiculiser. Il s'agit de tuer symboliquement. Et une violence d'autant plus contre-productive qu'elle concourt à placer le spectateur du côté de l'agressé, du côté de BHL. Incontestablement, pour démasquer plus efficacement l'imposture, on préférerait avoir chaque semaine une nouvelle affaire Botul à se mettre sous la dent.
On en resterait là, à balancer interminablement entre honte et jubilation, si BHL lui-même ne venait pas nous tirer du cruel balancement. Comment ? En laissant publier sur son site, La règle du jeu, un délirant texte de représailles, "BHL, le révélateur de salopards", assimilant le vieil anar cornichophobe Godin à Poutine, et surtout allant chercher à l'entartage d'obscures motivations, forcément antisémites. Un texte qui rappelle le moteur ultime du béachélisme : la réduction en dernier ressort de toute contestation à l'antisémitisme. Pour avoir rappelé cette violence verbale-là, qui certes reste verbale et ne salit pas les costumes, pour rappeler aussi la radicale absence d'humour de la "machine BHL" -quelle différence avec un Jean-Luc Godard, lui aussi entarté, et s'écriant "le cinéma muet rattrape mon cinéma"- l'attentat pâtissier se trouve, a posteriori, comme légitimé. Stupide exaspérant et lâche peut-être mais, à sa manière, utile.