Berlin : des rues "décolonisées" dans l'indifférence
Juliette Gramaglia - - 0 commentaires... sans polémique
Changement de noms, en toute discrétion. Plusieurs rues d'un quartier de Berlin, portant des noms de colonisateurs allemands, doivent être renommées d'ici à mai 2017. Alors qu'en France, toute initiative mémorielle en lien avec le passé colonial suscite d'importantes polémiques, l'épisode n'a suscité en Allemagne qu'un léger intérêt des médias locaux.
La rue du Togo, la rue de Zanzibar, la rue de Guinée : le quartier de Wedding, à Berlin, comporte un ensemble de rues que l'on appelle familièrement le "quartier africain" (l'une des rues s'appelle d'ailleurs la rue africaine). Un quartier dont certaines rues portent encore le nom de colonisateurs... mais plus pour longtemps. La mairie de Berlin a en effet décidé en mars 2016 de modifier les noms de trois rues jugés problématiques.
Parmi ces rues, on trouve la rue Lüderitz, du nom du marchand de tabac Adolf Lüderitz. Ce dernier avait acquis par escroquerie de grands terrains dans la Namibie actuelle (Afrique du Sud-Ouest), au début de la colonisation allemande à la fin du 19ème siècle. "Il est considéré comme le précurseur du génocide des Herero et des Nama, perpétré par les Allemands en 1904", rappelle le quotidien national basé à Berlin Die Tageszeitung (Taz) dans un article du 14 octobre 2016. Un génocide bien oublié aujourd'hui, comme @si vous le racontait.
"Les noms de l'époque coloniale doivent-ils disparaître du quartier africain ?"
(B.Z, 20 mars 2016)
Des changements de noms sans polémique
Les rues du quartier africain ne seront pas les premières à être renommées. Un parc de ce quartier avait déjà changé de nom en 2014, et des discussions tournent autour d'une autre rue, la rue des Maures, dont des associations exigent qu'elle soit également débaptisée.
Alors qu'en France, les initiatives mémorielles touchant au passé colonial sont généralement très polémiques, ce n'a pas été le cas en Allemagne. Si ces changements de noms de rues intéressent les associations critiques du colonialisme (comme "Berlin Postkolonial"), qui y sont favorables, et certaines associations d'habitants du quartier (comme "Pro Afrikanisches Viertel"), opposées, peu d'articles y ont été consacrés, dont celui du quotidien national berlinois Taz. La plupart se trouvent dans les médias locaux berlinois : le Berliner Kurier, la Berliner Zeitung, mais aussi le site de la radio-télévision publique Berlin-Brandebourg (RBB). L'intérêt politique est lui aussi limité : des membres de la CDU, le parti chrétien-démocrate au pouvoir, ont signifié leur opposition à ce projet (proposant de garder le nom des rues mais de changer la personne à qui elles font référence), mais le parti d'extrême-droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) ne s'est par exemple pas emparé du sujet.
Quelques journalistes prennent tout de même position : c'est le cas du tabloïd berlinois B.Z., qui trouve l'initiative "trop zélée", expliquant que les personnes dont les noms doivent être remplacés ne peuvent pas être considérés comme des "criminels de guerre". L'hebdomadaire Die Zeit, en revanche, a publié en mars 2016 une tribune de Christian Kopp, qui s'engage depuis des années pour renommer les rues fortement imprégnées de colonialisme.
Les nouveaux noms de rue n'ont pas encore été décidés, mais ils devraient l'être d'ici à mai 2017, rappelle la Taz. Les colonisateurs pourraient alors être remplacés par des "femmes africaines, qui ont résisté contre le colonialisme et le racisme", annonce le quotidien berlinois.
L'occasion de relire notre article sur le génocide des Herero en Namibie, qui se penchait sur un documentaire d'Anne Poiret, diffusé sur France 5 :