Beatrix abdique : une évaporation à la Vuillard

Alain Korkos - - 0 commentaires

Dans Le Monde paru hier et daté d'aujourd'hui, cette photo de la reine Beatrix des Pays-Bas qui abandonne le pouvoir au profit de son fils Willem-Alexander. L'image, diffusée par l'AFP et reprise par plusieurs journaux, ne date pas du jour où la reine a proclamé son abdication, non, elle a été prise le 18 septembre dernier. Mais elle correspond bien à la situation actuelle.

Capture d'écran du Monde du 30 janvier 2012,
photo © Lex van Leshout / AFP

La reine, vêtue d'une robe à fleurs bleue et blanche, est assise dans un fauteuil recouvert de tissu jaune et noir. Les motifs de la robe et du fauteuil semblent à première vue les mêmes, hormis la couleur. La reine porte un chapeau composé de feuilles d'arbre en tissu jaune pâle et noires ou bleues, couleurs identiques à celles des motifs du fauteuil. À sa droite, enfin, une espèce de mur de roses jaune pâle et vert sombre rappelant, lui aussi, le tissu du fauteuil. Grâce à son habillement, la reine semble ainsi se fondre dans le décor. Qu'on s'éloigne un peu, et elle aura totalement disparu.

Comme les femmes peintes par Édouard Vuillard, avalées par le décor chamarré de ces appartements bourgeois de la fin XIXe siècle :

Misia au piano par Édouard Vuillard, XIXe siècle

La Liseuse par Édouard Vuillard, 1896

La soupe d'Annette par Édouard Vuillard, 1900

Intérieur ou Le Prétendant par Édouard Vuillard, 1893

Intérieur, la mère et la soeur de l'artiste
par Édouard Vuillard, 1893

Le corsage rayé par Édouard Vuillard, 1895

Le placard à linge par Édouard Vuillard, vers 1893


Les femmes de Vuillard sont happées par les tentures, les tapisseries, les nappes, les paravents, les tapis, les fleurs, les tissus des fauteuils et des coussins dans lesquels se fondent leurs robes à fleurs, à pois ou à carreaux et leurs chemisiers à rayures.

La reine Beatrix des Pays-Bas quitte la vie publique, s'efface dans le décor, lentement s'évapore. Bientôt il ne restera plus qu'une bande de tissu bleu bordée de jaune, abandonnée dans un fauteuil. Et c'est ainsi qu'une image, encore une fois, vaut mieux qu'un long discours.


L'occasion de lire ma chronique intitulée La Pompadour de l'Élysée.

Lire sur arretsurimages.net.