Barkhane, aux confins de l'Empire
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesAvez-vous entendu parler de l'opération "Barkhane" ?
C'est celle qui a succédé à l'opération Serval, au Mali, à la fin août. On ne peut pas dire que cette modification ait fait grand bruit. Elle est pourtant importante. Alors que "Serval" se limitait au Mali, Barkhane s'étend sur toute la zone sahélienne, à savoir cinq pays. Elle couvre une région approximativement de la taille de l'Europe, "le plus grand théâtre français depuis la seconde guerre mondiale", dit un officier. Pour mieux appréhender le terrain, l'Armée a dû ressortir des cartes du XIXe siècle. 3000 hommes y sont engagés, dont 30 tiennent le petit poste de Tessalit, au nord du Mali, où s'est rendue la semaine dernière la spécialiste Défense au Monde, Nathalie Guibert, accompagnant le général Palasset, commandant de l'opération.
Si "Barkhane" est "limitée" à cinq pays, il n'est pas exclu, selon une confidence de l'Etat-major, à Paris, qu'elle s'étende aux zones riveraines, comme le Nigeria (Boko Haram) ou la Libye. Quant à la date-butoir, on croit comprendre qu'il n'y en a pas, et qu'il n'y en aura pas. "Barkhane" ne vise pas à éradiquer, mais à confiner la menace islamiste. « Nous voulons, d’abord, éviter qu’une herbe trop haute repousse au Nord-Mali » explique élégamment un officier au Monde. Mais la caractéristique des plantes, c'est qu'elles repoussent toujours, même dans le désert. Entre gardiennage et jardinage, il s'agit donc de la construction, aux confins de l'Empire, d'un limes qui n'avoue pas son nom -pour ne même pas évoquer la tenue d'un débat parlementaire.
Pourquoi en parler aujourd'hui ? Parce qu'à partir de la mort, annoncée hier, du sergent chef français Thomas Dupuy, justement, j'ai surfé sur les derniers articles consacrés au Mali, rubrique sortie de l'actualité, au bénéfice des djihadistes de l'Etat islamique (la dernière mise à jour de notre dossier Mali / Centrafrique remonte au 21 janvier). Des limites d'espace et de temps qui se noient dans les sables, l'indifférence totale de la lointaine mère-patrie, seulement troublée, de temps à autre, par la mort d'un soldat : difficile de ne pas penser au fort Bastiani du Désert des tartares, même s'il est peu probabe que s'y trouvent aujourd'hui des Giovanni Drogo, attendant que vienne l'ennemi qui les fera héros.