Asymétrie séduction : Théry livre sa source
La rédaction - - (In)visibilités - 0 commentairesA propos des "plaisirs asymétriques de la séduction", formule de la sociologue Irène Théry qui nourrit une polémique de presse sur le féminisme (polémique à laquelle Judith consacrait sa dernière chronique), Irène Théry, dans un mail qu'elle nous a adressé, livre sa "source d'inspiration" : c'est un livre de Daniel Mendelsohn, L'étreinte fugitive, dont on trouvera ici un extrait.
Nous publions ci-dessous le mail de Théry.
Je viens de lire sur votre site une "récapitulation" qui me fait sursauter :
Ce résumé inverse l'ordre et le sens des choses et invente en outre une définition des "plaisirs asymétriques de la séduction" qui n'a rien a voir avec ce que j'ai écrit ni avec ma pensée à moi, la seule et unique auteur de cette petite formule. Permettez -moi donc d'y répondre.
En premier lieu, on oublie que c'est J. Scott qui a lancé la polémique contre le féminisme à la française, et cela très précisément à propos de l'affaire DSK et que c'est dans ce cadre que, pour ma part, j'ai jugé bon de répliquer ensuite dans Le Monde. Soyons attentifs aux faits : ni M. Ozouf, ni C.Habib ne se sont mêlées de ce débat et je ne suis même pas sûre que toutes les deux (qui ne sont d'ailleurs peut être pas d'accord entre elles) approuvent mes positions sur l'affaire DSK !
Ce qui nous a rassemblées n'est donc pas une quelconque "position" dans cette affaire, ni même sur l'histoire des femmes (nous écrivons même littéralement que nous avons "des divergences qui ne sont nullement secrètes" sur des sujets aussi capitaux pour le féminisme que l'histoire de la famille) mais tout simplement le fait d'avoir été attaquées ensemble par Scott (cette fois dans Libération) : si nous n'avions pas constaté que chacune de ces attaques nous prêtait très exactement l'inverse de ce que chacune de nous a écrit, nous n'aurions pas eu besoin de rétablir tout simplement la vérité de nos propos respectifs !! Voilà le véritable point commun : celui de personnes qui protestent contre une certaine façon de se croire tout permis, car pour leur part elles restent attachées à la vérité des faits et des écrits, au refus des citations tronquées, de l'inversion du sens des propos, des textes cités sans référence qui empêchent le lecteur d'aller voir par lui-même. Un texte d'universitaires ? Sans doute, si ce terme veut dire qu'il y a des métiers où on prétend encore que sans le respect de règles élémentaires, il n'y a pas de controverse possible.
Et j'en viens au deuxieme point, qui cette fois me concerne personnellement. On glose, dans Libération (aujourd'hui, RM Lagrave [réservé aux abonnés]) et dans Le Monde (hier , E.Fassin) , sur un texte que moi j'ai écrit : ma deuxième tribune dans Le Monde. Or je dois faire remarquer avec force que sur la notion de "féminisme a la française" mon article indiquait très clairement son but : non pas promouvoir une sorte de nationalisme féministe (pourquoi donc ?) , mais tout simplement relever le gant et "retourner le stigmate" après les attaques francophobes et sexistes qui s'en sont prises dès les premiers jours de l'affaire DSK, dans le New York Times, aux femmes françaises en général, et aux féministes universalistes "à la française" en particulier (dans le texte de J. Scott). On ne peut rien comprendre à ces débats si on n'a pas en tête la différence entre les contexte français et americains ici et maintenant,dans le cadre de l'affaire DSK.
Et pour ma part, je me garde bien de remplacer les clichés antifrançais par des clichés profrançais ou anti americains : au contraire je dénonce ces manières de faire et je dis que ma plus claire réponse à ces attaques lancées par le New York Times a été, justement, de publier sans tarder ma tribune "La femme de chambre et le financier" dans Le Monde. Tout en refusant les injures qui nous étaient adressées en tant que "peuple", elle a contribué directement à la réaction féministe qui s'est développée au même moment un peu partout en France, et qui a démontré que nous sommes parfaitement capables de balayer devant notre porte et de faire apercevoir les enjeux sociaux sous-jacents à ce qui n'est pas un simple "fait divers", quand le débat français des élites avait commencé de façon si choquante. J'ai à cette occasion rappelé encore une fois qu'on doit féliciter la justice américaine d'avoir accordé à une femme de chambre ce que je nomme une "présomption de véracité" et d'avoir agi en 4 heures, ce qui n'aurait sans doute pas été possible en France ! Ainsi, je montrais qu'on peut a la fois être fière d'être française et critique des insuffisances de notre société, sceptique sur le politiquement correct qui confond séduction et complaisance au viol, et attentive aux leçons américaines en matière de droit des victimes d'agression sexuelle.
Trop compliqué ? Si c'était le cas, ce serait inquiétant pour la suite, car la double scène, avec les différences entre Paris et New York est depuis le début et sera demain une des données majeures de l'affaire DSK et il faudra apprendre à penser dans les tensions qui parcourent cet espace transatlantique, sans se réfugier d'un côté ou de l'autre. En tout cas, je n'ai attendu personne, pour ma part, pour envoyer un mot de soutien à l'avocat français de Nafissatou Diallo quand j'ai appris (chose simplement inimaginable à New York, nous devons en avoir conscience), qu'il recevait une masse de mails d'injures et de menaces... Je lui confirmais ce que j'ai déjà écrit dans mes tribunes, mon sentiment que nous avons à apprendre de la justice americaine, en matière d'agressions sexuelles. Est-ce faire preuve d'une sorte de nationalisme féministe suspect ... Il ne me semble pas!
Enfin dernier épisode : voilà qu'on glose maintenant à qui mieux mieux (E. Fassin dans Le Monde, Judith Bernard sur votre site etc) sur "les asymétries de la séduction" dont j'ai proposé la formule pour dire qu'on peut combattre toutes les formes d'agression sexuelle sans tomber dans les travers du puritanisme américain. Permettez-moi de dire que je trouve tout simplement ahurissant que l'on me prête gratuitement l'idée que ces asymétries seraient des asymétries... entre hommes et femmes ! Je distinguais, pour qui sait lire, bien plus simplement deux notions : le consentement (qui a quelque chose d'un accord fondamentalement symétrique) et la séduction (qui a quelque chose d'un jeu fondamentalement asymétrique).
Il n'y a strictement rien d'hétérosexuel là dedans... Le plus comique est que ceux qui me connaissent savent que la source immédiate de mon inspiration, lorsque j'ai peaufiné cette petite formule, est un livre que j'aime beaucoup : "L'étreinte fugitive" de Daniel Mendelsohn. Un livre sur l'érotique gay, qui décline avec plus de clarté qu'aucun autre ces jeux asymétriques et ces successions de déséquilibres fort peu "politiquement corrects" entre qui séduit, qui est séduit, qui séduit à son tour etc. Car pour moi il va de soi, et je l'ai écrit en long et en large dans mon livre La distinction de sexe, que les relations de sexe opposé et les relations de même sexe sont deux formes élémentaires (il y en a d'autres) de la distinction de sexe commune à tous. Je pense profondément qu'elles évoluent aujourd'hui ensemble, sous la pression des mêmes grandes évolutions des valeurs et des représentations des relations sexuées en démocratie, et que les problèmes du viol, du consentement et de la séduction ne sont réservés à aucune forme d'orientation sexuelle.
La question posée est donc celle – et c'est ce que j'écris – d'une approche du consentement qui soit à la fois intransigeante en matière de consentement, et capable de ne pas réduire la séduction à une simple manipulation du faible par le fort, ou de la femme par l'homme, ce que faisait justement Scott dans son premier papier du New York Times, celui qui a déclenché toute cette polémique. Je dois dire que je me réjouis vivement que E. Fassin reprenne a son compte, dans son dernier article du Monde, la notion de séduction, puisque c'est cette notion qui était justement la cible de Scott (ce qu'il se garde bien de dire). Mais sans doute cela l'aurait -il-passablement ennuyé de reconnaître tout simplement qu'il était d'accord avec moi sur ce point : féminisme et séduction n'ont rien d'incompatible, et j'ajouterais : ni à Paris, ni à New-York, ni ailleurs dans le monde... Quant à l'affaire DSK n'est pas du tout un problème de flirt, de badinage ou de galanterie : c'est un crime qui est allégué.