Assassinat journalistes RFI : France 2 rouvre l'enquête
Manuel Vicuña - - Investigations - 0 commentaires Voir la vidéoEnvoyé Spécial pourrait-il donner un grand coup d’accélérateur à l’information judiciaire ouverte il y a trois ans sur l'assassinat de deux journalistes français de RFI au Niger en 2013?
C’est ce qu’espère la direction de France Médias Monde au lendemain de la diffusion ce jeudi d’ "Otages d’Etat", une enquête du magazine de France 2.
Pendant plus d’un an, Envoyé Spécial a enquêté sur les négociations qui ont rendu possible la libération des otages d’Arlit, sept employés du site minier d’Areva, enlevés au Niger par un commando d’Aqmi en 2010. Au coeur de leur enquête, en France, au Niger et au Mali, les journalistes d’Envoyé Spécial ont mis en lumière la guerre des réseaux qui se trame en sous-main entre les services français.
En définitive: cafouillage et ordres contradictoires au plus haut niveau de l’Etat sous les présidences de Nicolas Sarkozy comme de François Hollande, rivalité et absence de coordination entre AREVA, la DGSE et le ministère de la Défense... La tentative de libération tourne au fiasco. Envoyé spécial met en lumière des montants exigés par Aqmi qui augmentent à mesure que le temps passe, des opportunités de libération bloquées soudainement par le chef d’Etat-major particulier de Sarkozy, trois jours avant le second tour de la présidentielle de 2012.
Et si, en octobre 2013, après trois ans de captivité, la France récupère finalement les otages d’Arlit, une lourde question reste en suspens: l’argent de la rançon, 30 millions d’euros pour les quatre derniers otages, a-t-il été versé intégralement à Aqmi? "Au fil de nos recherches, on va s’apercevoir que les ravisseurs n’ont peut-être pas reçu l’intégralité de la somme d’argent ou toutes les contreparties de l'accord qu’ils demandaient à la France en échange de la libération des otages d’Arlit", explique le co-réalisateur du documentaire Geoffrey Livolsi qui constate que "des chauffeurs, des gardiens et des proches d'Aqmi, qui ont facilité la négociation, n'auraient pas été payés."
Un assassinat par vengeance ?
Les journalistes ont interrogé l’ex-patron des services de renseignement à la DGSE, Alain Juillet qui confie: "Il y a certaines rumeurs qui ont couru au Nord-Mali qui disaient que la somme qui avait été donnée la deuxième fois était incomplète, il manquait de l'argent."
Les auteurs du documentaire donnent également la version de l’un des négociateurs, Pierre-Antoine Lorenzi qui accuse les services de renseignement français d’avoir refusé de payer des dizaines d’intermédiaires en complément de la rançon. Y aurait-il eu des détournements, au sein des services français ou des réseaux djihadistes? Une partie des rançons versées a-t-elle pu revenir à des politiques français, sous forme de rétrocommissions? Le reportage ne tranche pas le sujet. Mais il soulève une autre zone d'ombre : le fait que cette transaction ait pu faire des mécontents qui auraient souhaité se venger.
De fait, trois jours après la libération des otages d’Arlit, dans la même région, deux journalistes français de RFI sont enlevés et assassinés. Le lendemain l’exécution est revendiquée par un certain "Abdelkrim le Touareg", un des principaux dirigeants d'Al-Qaïda au Maghreb. "L'assassinat des journalistes est le minimum de la facture que le président François Hollande et son peuple doivent payer", écrit-il dans une lettre dévoilée par Envoyé Spécial. Les journalistes de France 2 ont accédé à un certain nombre de documents de la DGSE et de la direction du renseignement militaire (DRM) faisant le lien entre les deux affaires. "L'assassinat serait le fait d'individus agissant par vengeance", évoque ainsi une note de la DRM, exhumée par Envoyé Spécial.
"Les autorités françaises, qui n’ont pas répondu aux sollicitations des auteurs du reportage, se sont toujours refusées à tout commentaire sur cette affaire, sur laquelle une information judiciaire a été ouverte en avril 2014", rappelle France 24 qui précise que les magistrats instructeurs ont délivré une commission rogatoire internationale à l'intention des autorités maliennes. Et France 24 de préciser qu'"Une requête en déclassification déposée en 2016 a permis la mise à disposition des enquêteurs d'une centaine de documents."
Au lendemain de la diffusion du documentaire France Médias Monde, partie civile dans cette enquête, a exprimé dans un communiqué son souhait que la justice se saisisse des éléments révélés par Envoyé Spécial sur l’assassinat des journalistes de RFI. "France Médias Monde, partie civile dans l’enquête sur les circonstances de la mort de ses deux collaborateurs, souhaite que la justice se saisisse de ces éléments et mandate ses avocats afin qu’ils demandent au juge d’instruction de poursuivre les investigations sur ces points."
Sur cette enquête d'Envoyé Spécial, lire aussi la chronique de Daniel Schneidermann "De Fillon aux otages d'Arlit, des gens sérieux"