Art du cadrage
Alain Korkos - - 0 commentaires
Un article de Slate.fr daté du 25 avril (qui prend pour point de départ un article du site Policy Mic), se demande à quoi ressemblent les monuments célèbres quand on élargit le cadre de la photo et fournit les réponses. Les environs du majestueux Taj Mahal se révèlent alors fort peu reluisants :
Le château de Himeji est cerné par les infrastructures routières :
La porte de Brandebourg se dresse au milieu des immeubles de bureau :
Tout est question de cadrage, ce qu'on veut donner à voir et ce qu'on veut laisser dans l'ombre du hors-champ. La firme Kodak avait, dans les années 1970, utilisé avec humour ce procédé pour quelques-unes de ses réclames :
En 1998, Le Monde s'avait également emprunté ce principe pour assurer sa promotion. Quatre photos en plein serré et en plan large, assorties du slogan « On ne sait rien quand on ne sait pas tout » :
Le même Monde avait réitéré en 2010, avec une autre campagne au slogan identique :
« Un événement considéré d'un point de vue donne une impression. D'un autre point de vue, il donne une impression toute différente. C'est seulement en voyant le tableau dans son ensemble que l'on comprend vraiment ce qui se passe. » Tel était, en 1986, le texte d'un film publicitaire pour le britannique quotidien The Guardian. Voici donc un même événement présenté sous trois angles différents, dans une bobine de 27 secondes :
Trois points de vue, trois perceptions radicalement différentes d'un même événement. Le Guardian avait récidivé en 2012 avec un autre film, narrant l'histoire des Trois Petits Cochons. En voici le scénario :
- Le loup a été brûlé vif. Les trois petits cochons sont arrêtés.
Ils ont eu raison, c'est de l'auto-défense, le loup a soufflé leur maison !
- Mais non, apprend-on ensuite, ça ne se peut pas que le loup ait détruit une maison en soufflant dessus : il a de l'asthme !
- Les trois petits cochons sont arrêtés, ils avouent avoir monté une fraude à l'assurance en prétendant qu'on avait détruit leur maison parce qu'ils ne parvenaient plus à rembourser leurs traites mensuelles.
- Comme beaucoup de gens, d'ailleurs, qui manifestent contre les expulsions. Ce qui conduira à une réforme de la loi sur les emprunts.
Le slogan final est The Whole Picture, c'est-à-dire Tout le tableau, le tableau complet de la situation.
Prise en plan serré, une photo peut donner une vision trompeuse de la réalité. Car en vérité le Taj Mahal est longé par les rives boueuses du fleuve Yamuna, et derrière des hommes qui semblent tranquillement assis s'avancent des policiers armés…
… réprimant de façon sanglante des manifestations post-électorales à Madagascar. L'Argentin Walter Astrada obtint en 2009 le premier prix "spot d'actualité" du World Press Photo pour cette image :
Les événements peuvent eux aussi être vus en plan serré et ainsi donner une vision partielle, trompeuse, de la réalité. Ou en plan plus large, voire selon plusieurs angles, alimentant ainsi la réflexion et les points de vue, offrant une image complexe du monde.
L'occasion de lire ma chronique intitulée World Press Photo 2013, ou la souffrance assombrie désaturée.