Art 13 / libertés publiques : passe d'armes Valls/Le Pen (Numerama)
Sébastien Rochat - - 0 commentaires"Extrêmement grave pour les libertés publiques". C'est en ces termes que Marine Le Pen a qualifié, sur Europe 1, l'article 13 de la loi de programmation militaire sur la surveillance des communications électroniques. Une accusation balayée le lendemain par Manuel Valls, lequel assure que le dispositif n'est qu'une reprise d'un système déjà validé par le Conseil constitutionnel en 2006. "Mensonge", rétorque le site Numerama.
Atteinte aux libertés ou simple adaptation d'une législation existante ? La loi de programmation militaire, et plus particulièrement son article 13 dont nous vous avons déjà parlé en détail, n'en finit pas de faire polémique. Mardi 10 décembre, sur Europe 1, Marine Le Pen a vivement dénoncé ce qu'elle considère comme une atteinte aux libertés. Le lendemain, sur la même antenne, Manuel Valls a relativisé ces critiques en assurant que "la loi de programmation militaire ne fait que reprendre un dispositif validé en 2006 par le Conseil constitutionnel pour la lutte anti-terrorisme". Passe d'armes Le Pen/Valls à 24h d'intervalle |
Pour le site Numerama, qui a retrouvé la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 2006, les arguments avancés par Manuel Valls sont "une série de mensonges". Pour bien comprendre, il faut préciser que le Conseil constitutionnel avait statué sur une loi autorisant la collecte de "données de connexion" dans le cadre d'affaires de terrorisme. Or, l'article 13 de la loi de programmation militaire fusionne deux dispositifs différents, cette loi de 2006 et celle de 1991 sur les interceptions de sécurité, c'est-à-dire le contenu des correspondances, et non pas uniquement les seules données de connexion.
Autrement dit, quand Valls explique que le Conseil constitutionnel a validé un dispositif qui existait déjà, c'est faux. La loi de 2013 est plus large et concerne à la fois les données de connexion (loi 2006) et les contenus des correspondances (loi de 1991). C'est ce qu'explique Numerama : en 2006, "pour valider la loi, le Conseil constitutionnel faisait remarquer que la réquisition "sera limitée aux données techniques" (adresses IP, historique des appels, géolocalisation, etc.), et non au contenu. Or, la loi de programmation militaire autorise le "recueil (...) des informations ou documents traités ou conservés" par les prestataires. Un document conservé n'est pas une donnée technique, c'est un contenu".
Autre élément nouveau, que le Conseil constitutionnel n'avait pas pu valider en 2006 : l'encadrement de la géolocalisation en temps réel. Il n'en était pas question dans le texte de 2006. Comme le rappelle Numerama, la réquisition administrative était "subordonnée à un accord préalable". Rien ne pressait, rien ne se faisait en temps réel. Or, le texte de 2013 instaure désormais un contrôle différé : "Les agents ont 48 heures pour informer le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) de ses collectes en temps réel, et en cas de doute sur la légalité, celui-ci a encore sept jours supplémentaires pour convoquer les deux autres membres de la commission et demander qu'il soit mis fin à la collecte", précise Numerama. Numerama décortique les arguments de Valls |
Conclusion provisoire : en se retranchant derrière l'avis du Conseil constitutionnel de 2006, Valls fait semblant de croire que le texte de 2013 est identique. Or, il est bien plus large et concerne toutes les données (contenu des conversations et données de connexion) dans des délais plus courts, en raison de cette notion de "temps réel".
La lumière se faisant ainsi progressivement, par le débat, sur les vraies innovations de cette loi, un point obscur continue à faire débat : la formulation vague encadrant le dispositif technique de collectes de données de géolocalisation en temps réel. Selon Numerama, "la loi de programmation militaire autorise la collecte "sur sollicitation du réseau", sans nécessairement en référer aux FAI ou hébergeurs". Ce terme de "sollicitation du réseau" est sujet à interprétation. Pour certains, cela signifie que l'Etat pourrait intercepter directement toutes les données internet, sans même transmettre une demande aux fournisseurs d'accès. Pour d'autres, derrière ce terme, il n'y aurait qu'une justification technique qui ne concerne pas les données internet mais uniquement les données de téléphonie mobile.
Explications : aujourd'hui, quand vous vous déplacez avec votre téléphone mobile, celui-ci active automatiquement des bornes différentes selon les villes et les quartiers. Ces informations sont mises à jour à intervalle régulier. Mais pour avoir des informations plus fréquentes, et suivre en temps réel le déplacement d'un téléphone mobile, les opérateurs devront envoyer davantage de requêtes. Dit autrement par un "spécialiste", interrogé par Mediapart : "Le dialogue technique entre un téléphone mobile et le réseau est permanent, mais si vous voulez avoir des infos plus fréquentes, le réseau doit chatouiller [le portable] pour qu’il réponde. Chaque opérateur a une plateforme nationale pour les géolocalisations en temps réel". C'est cet argument - la nécessité du réseau de récupérer des informations plus fréquentes sur la localisation des mobiles - qui a été avancé par le sénateur Jacques Hyest (UMP), auteur d'un amendement sur l'article 13, pour justifier cette notion de "sollicitation du réseau". Mais pour le député UMP, Lionel Tardy, contacté par Mediapart, cette notion de "sollicitation du réseau" est "tellement floue qu’elle donne carte blanche à une interconnexion sans filet, ce qui serait intrusif". Difficile de trancher sur ce point.
Pour bien comprendre les enjeux, lisez notre enquête : "Big brother français : vérités et intox sur la surveillance d'Internet".