Argentine : miracle ou com' ?
Anne-Sophie Jacques - - 0 commentairesBelle double page dans le
Libé du jour sur la résurrection économique de l’Argentine : l’envoyé spécial à Buenos Aires, Gérard Thomas, raconte dans le détail la remontée économique spectaculaire du pays depuis la crise de 2001 : "Le pays, qui a subi de plein fouet les politiques néolibérales des années 90, est exsangue. Le maintien d’une illusoire parité, à un pour un, entre le peso et le dollar a pénalisé les exportations nationales et la monnaie locale finit par être dévaluée de 70%, ruinant des milliers de petits épargnants." Le FMI, qui avait mis au pot deux fois pour un total de 51 milliards d’euros, refuse de prêter davantage, l’état de siège est décrété, les manifestants répondent "votre état de siège, vous pouvez vous le mettre au cul !", le président s’enfuit en hélico et pendant deux semaines, cinq chefs de l’Etat se succèdent. Puis arrive un péroniste, Eduardo Duhalde, qui rompt avec le FMI. C’est décidé : l’Argentine fera défaut et elle ne paiera pas ses dettes.
Dix ans plus tard, grâce à une grosse dose de protectionnisme, des programmes d’aide sociale, l’augmentation continue des salaires, la relance par les travaux publics et la restructuration de leur dette, "l’Argentine affiche une arrogante santé. La croissance flirte avec les 8% annuels, le chômage tombe à moins de 8% de la population active." Mais, nous apprend l’envoyé spécial, le pays a surtout bénéficié de sa production agricole, et notamment du soja transgénique. Non seulement l’Inde et la Chine sont insatiables mais les cours ont explosé : "le soja est passé d’environ 170 euros la tonne en 2002, à 500 euros il y a quelques semaines. Un vrai jackpot pour l’Etat qui prélève 35 % de taxes sur chaque tonne de grain exportée. "
L'Argentine est-il un exemple à suivre pour la Grèce ? Oui, semble répondre au journaliste l'ex-ministre de l’Economie d’Eduardo Duhalde et de Néstor Kirchner (sa femme Cristina Kirchner lui a succédé et a été réélue haut la main le 23 octobre dernier) et suggère même à Athènes "d’arrêter de sombrer dans les plans d’austérité."
C’est également le point de vue de Jean-Luc Mélenchon qui cite souvent le cas de l’Argentine pour expliquer qu’une alternative est possible. Cet été, il relayait sur son blog le texte de Raquel Garrido, porte-parole internationale du Parti de Gauche : "tout cela fait de l’Argentine le lieu précis vers lequel devraient se tourner le regard de tous les Papandreou, Zapatero, Trichet, Merkel ou autre Sarkozy à l’heure où ils devraient faire face à l’attaque spéculative en cours en Europe." Petit paradoxe : dans une séance au parlement européen en juin, il cite l’Argentine non pas comme exemple mais comme pays qui tire par le bas des normes environnementales et sanitaires en tant que deuxième producteur mondial de plantes génétiquement modifiées… qui, rappelons-le, sont le moteur de l'économie argentine.
Reste que l’exemple de l’Argentine est mis en lumière au regard de la situation grecque. Le journal La Croix a lui aussi rédigé un article la semaine dernière, assez similaire à celui de Libé par ailleurs, même si on apprend en plus que "l’industrie argentine du jouet détient aujourd’hui 40% du marché national, contre 10% il y a dix ans."
Un exemple à suivre ou un coup de com’ de la part de l’Argentine ? Cette hypothèse est formulée par Gil Mihaely dans Causeur : "Aujourd’hui, malgré les performances impressionnantes de l’économie argentine, les capitaux ne se bousculent pas aux portes de la banque centrale du pays. Ce n’est pas un hasard si l’une des obsessions des Kirchner est de démontrer (aux marchés, bien sûr) que l’Argentine est un pays sérieux. La présidente de l’Argentine sait bien que, tôt ou tard, il faudra renouer avec une politique économique plus classique et emprunter de l’argent sur les marchés pour financer des investissements lourds. En 2009, le Prix Nobel d’économie Paul Krugman l’avait clairement expliqué : "C’est une erreur de rester trop longtemps dans l’hétérodoxie et ne pas savoir mettre fin à celle-ci. Maintenant c’est le moment de cultiver une image de citoyen respectable, pour recommencer à être hétérodoxe quand on aura besoin de le faire".