Allègre, leçons (prudentes) d'une imposture

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

S'excuseront-ils ? S'excuseront-ils, tous les animateurs multi-chaînes qui ont invité Claude Allègre

, de longs mois durant, à pérorer sur le réchauffement climatique qui, comme chacun sait bien, n'existe pas ? Au lendemain de la publication d'un rapport de l'Académie des sciences, qui conclut à la responsabilité indiscutable du CO2 dans le réchauffement de l'atmosphère, et à la responsabilité humaine dans les émissions de CO2, rapport co-signé par Allègre (écoutez-le bafouiller ses justifications sur RTL), on ne peut éviter de revenir sur cette catastrophe médiatique, qui consiste à lui avoir laissé la clé des studios et des plateaux.

Pourquoi le système médiatique a-t-il surévalué les avis péremptoires et approximatifs de l'incompétent,  lui donnant  obstinément la parole, alors même que son incompétence était avérée ? Plusieurs raisons, sans doute. D'abord, le  bête désir de créer de la polémique. Désir sous-tendu par une sourde méfiance à l'égard du discours "des institutions", qui montre que les médias mainstream, sur certains sujets, peuvent aussi flirter avec le complotisme. Mais surtout, la soumission paresseuse aux système des "bons clients". Comme BHL, comme les Bogdanov, comme tant d'autres, Allègre était un bon client, celui qu'on appelle pour composer un plateau parce qu'il a toujours été là, comme un meuble familier du champ visuel, parce qu'il est toujours disponible, parce qu'il trouve toujours les formules qui réveillent l'auditeur. Parce que sa tchatche, ses capacités d'intimidation, assureront le spectacle, même si elles présentent le dommage collatéral de désamorcer net toute question critique sur le contenu de son discours.

Nous-mêmes, ici, ne nous exonérons pas trop vite de notre responsabilité. Si nous avons échappé au pire (jamais nous n'avons adressé une invitation à Allègre), si nous avons consacré un article entier à recenser ses erreurs, nous n'avons pas échappé, en revanche, à la mise en scène d'un débat dont nous savons aujourd'hui qu'il n'avait pas lieu d'être, notamment dans une mémorable Ligne j@une. On peut voir et revoir cette émission, cas d'école des dangers de la télé. La supériorité scientifique de Sylvestre Huet, journaliste de Libération et pourfendeur des climato-sceptiques, est évidente. Mais l'agressivité de ce même Huet, suscitant en retour celle de Guy, produit au total un spectacle confus, dans lequel Huet apparait comme l'arrogant détenteur d'une vérité officielle qu'il est interdit de contester. Les leçons à en tirer ? D'abord celle-ci : ce n'est pas parce que les spécialistes légitimés par les médias "mainstream" défendent une thèse, que cette thèse est forcément fausse. Et puis cet autre enseignement :  ce ne sont pas les plateaux de télé, pas même les pétitions de scientifiques contre lui, qui ont finalement terrassé l'imposture Allègre, mais une institution officielle, statuant (circonstance aggravante) sur injonction gouvernementale, l'Académie des sciences. Peut-être certains sujets sont-ils définitivement incompatibles avec le format du débat télé, pour ne pas dire avec la vulgarisation médiatique en général. Mais soyons prudents : cela n'a évidemment rien d'une loi scientifique.

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