"Affection et sollicitude" de Ben Ali (presse tunisienne)

Gilles Klein - - 0 commentaires

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Le pouvoir tunisien n'a eu de cesse de récupérer à son profit, le suicide de Mohamed Bouazizi, (26 ans), diplomé et sans emploi, immolé par le feu à Sidi Bouzid, le 17 décembre, après la saisie de ses fruits et légumes vendus sans autorisation. Un symbole qui a déclenché, depuis, de nombreuses manifestations. Mais Bouazizi est mort mardi soir, à la fin d'une journée de protestation contre le chômage et l'absence de liberté d'expression, illustrée par la censure d'Internet, et le piratage des comptes Facebook d'opposants.

Le décès de Bouazizi a été annoncé par l'agence TAP (Tunisie Afrique Presse) qui est en position de monopole dans ce pays : "Une source du ministère de la Santé publique a indiqué que le jeune Mohamed Bouazizi est décédé, mardi soir, au Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous où il était hospitalisé pour soigner ses blessures suite à sa tentative de s’immoler par le feu deux semaines plus tôt à Sidi Bouzid. Le défunt Bouazizi a bénéficié depuis cet incident d’un suivi médical intensif au centre de traumatologie de Ben Arous qui dispose d’équipements médicaux de pointe. Il convient de souligner que le Chef de l’Etat a veillé, dès l’incident, à entourer le jeune Mohamed Bouazizi de toute sa sollicitude. Le Président de la République a, également, tenu à recevoir, la semaine dernière, la mère et la sœur du jeune Bouazizi pour leur faire part de ses sentiments de sympathie et de compassion et de l’intérêt qu’il porte à leur situation sociale."

Le Temps jeudi 6 janvier 2010

Le quotidien tunisien Le Temps d'aujourd'hui consacre trois petits articles à l'enterrement de Bouazizi, en bas de la page 4, sous le compte rendu du conseil des ministres.

Le premier article est la reproduction intégrale de la dépêche de l'agence TAP (voir ci-dessus). Le second est titré "Lors d’imposantes funérailles, hier, Sidi Bouzid accompagne le défunt à sa dernière demeure" et précise "Une importante foule d’habitants de Sidi Bouzid a assisté hier après-midi aux funérailles de Mohamed Bouazizi. (...) Malgré la distance, de plusieurs kilomètres, qui sépare la maison du défunt du cimetière la foule a insisté à la parcourir à pied avec les appels aux miséricordes pour le défunt. (...) Selon un rapport médical, le défunt était, avant la tentative de suicide, dans un état de colère aigüe ce qui a causé un choc psychologique le poussant au suicide."

Le troisième article évoque la réaction prêtée à la famille du jeune homme, sous le titre "La soeur du défunt : Nos remerciements au Président de la République pour son affection et sa sollicitude" en ajoutant "Sa sœur Leïla a laissé passer quelques expressions qui traduisent le poids du drame. Lors d’un bref contact après les funérailles elle nous a affirmé en larmes : « Puisse Dieu le bénir… Un grand merci à Monsieur le Président pour son affection, sa sollicitude et son appui à notre famille dans ces douloureuses circonstances."

"Merci à Monsieur le Président pour sa sollicitude et son soutien à la famille. Merci au cadre médical du Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous. Merci à tous ceux qui nous ont soutenus dans cette douloureuse circonstance », a déclaré pour sa part, M. Salah Bouazizi (l’oncle du défunt)"

Nawaat, un blog collectif animé par des Tunisiens rend hommage au jeune défunt, aujourd'hui.

"Face à la brutalité de la force de celui qui soumet et humilie, il existe une forme de résistance, certainement fatale pour celui qui l’entreprend, mais vis-à-vis de laquelle, avec le temps, aucune tyrannie au monde ne saurait y résister. C’est cette forme de résistance qu’a choisie Jan Palach le 16 janvier 1969 à Prague. Il fut suivi quelques semaines plus tard par ses deux concitoyens Jan Zajíc et Evzen Plocek."

"Quand l’humiliation atteint le seuil de l’intolérable, certains, dans un dernier geste de désespoir, finissent par s’en prendre à leur propre intégrité physique pour formuler cette négation ultime de ceux qui cherchent à les soumettre."

Le blog Nawaat jeudi 6 janvier 2011picto






Une manifestation a été organisée, mercredi 5 janvier, par la section du syndicat UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail) de Ben Arous (banlieue de Tunis), où se trouve l'hopital où est mort le jeune homme de Sidi Bouzid (ville dont les manifestants, scandent entre autres le nom)

Les funérailles de Bouazizi "auxquelles ont assisté cet après-midi environ 5000 personnes criant vengeance, se sont déroulées dans un climat tendu. Des marches sont prévues jeudi dans toutes les régions du pays pour lui rendre hommage, et les appels qui circulent sur le web engagent même les Tunisiens vivant à l’étranger comme ceux qui souhaitent un changement politique en Tunisie à manifester. En effet, les réseaux sociaux constituent un important moyen d’organisation des manifestations, pour les jeunes tunisiens en particulier. Ainsi, 10 000 lycéens ont relayé un appel à la grève et à la désobéissance civile lundi sur Facebook et Twitter." écrit Afrik.com mercredi 5 janvier 2010

"Les évènements ont été très peu couverts par les journalistes qui ont été exclus des manifestations. En décembre, le gouvernement a interdit aux journaux d’opposition Tareeq-al Jadid et Al Mawqif de paraître pour avoir couvert les protestations. Les réseaux sociaux constituent donc actuellement les premiers relais d’information. Mais les autorités tunisiennes sont extrêment répressives vis-à-vis d’internet. Les sites de partage de photos et vidéos comme FlickR et YouTube sont interdits, tout comme les sites de blogueurs dissidents et ceux faisant référence à WikiLeaks. D’ailleurs, en représailles, un collectif baptisé Anonymous s’est attaqué à plusieurs sites officiels tunisiens. Depuis lundi, son «Opération Riposte» a bloqué, entre autres, le site officiel du gouvernement et la totalité des sites web des ministères. Dans une  lettre ouverte, le groupe informel déclare que «Le gouvernement tunisien, dirigé par le président Ben Ali, a montré un niveau de censure outrageant»." ajoute Afrik.com


 

Le message des Anonymous au peuple tunisien

"Les militants des droits de l'homme en Tunisieaccusent la police de se livrer à une campagne de piratage des comptes Facebook d'opposants, en se procurant leur mot de passe pour pouvoir désactiver leur compte. D'après le site Assabilonline, plus de 100 pages personnelles et des groupes critiques envers le pouvoir, ou relatant les manifestations, ont été désactivées soudainement, dont la page Facebook du site Débat Tunisie. Le groupe Facebook en langue arabe "M. Le Président, les Tunisiens s'immolent par le feu", comptait plus de 12 000 membres avant d'être désactivé." souligne LeMonde.fr.

Les blogs et sites pro-gouvernementaux, photo à l'appui, ont tous signalé que président tunisien Ben Ali s'était rendu le 28 décembre 2010 au chevet de Bouazizi. Et il avait reçu sa mère. Ils soulignent aussi que "le ministre de la Communication, ainsi que le gouverneur de la région de Sidi Bouzid, avaient été débarqués par le président Ben Ali"

pictoLe président tunisien au chevet de Bouazizi le 28 décembre

La chaîne Nessma TV a organisé jeudi 30 décembre un débat, sur le drame de Sidi Bouzid avec une demi-douzaine de journalistes, un écrivain, une avocate. Mais il n'a pas été bien accueilli, exemple avec cette réaction de Fadila sur Facebook "J'ai regardé sans espoir ni surprise, comme beaucoup de tunisiens, les reportages de Nessma TV sur Sidi Bouzid, et le faux débat qui s'en suivit, même les pauvres gens qui se sont exprimés dans ce reportage, se sont exprimés sous haute surveillance, et sur le plateau de Nessma TV, les intervenants officiels, autorisés, se sont, comme d'habitude, défoulés sur des sous-fifres sacrifiés en bons boucs émissaires, pas un mot déplacé (...) Cette assemblée de nervis, cette guilde de laudateurs voulaient nous expliquer que la révolte de Sidi Bouzid et des autres régions tunisiennes n'étaient pas politiques, mais économique(sic)!!!! Ils osent tout ces sicaires, ce panel de suffisants choisi à la loupe, je pense, pour leur médiocrité et leur suffisance dans les rayons clientélistes de la dictature, juste pour limiter les dégâts, pas pour autre chose, dans l'opinion publique."

L'occasion de lire notre observatoire Manifs et un mort en Tunisie: pas un mot dans les JT.

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