"Libre Palestine" : quelques idées simples

Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Obsessions - 233 commentaires

Une conférence de soutien à la Palestine à l'université de Lille, avec Jean-Luc Mélenchon et la militante palestinienne Rima Hassan, candidate sur la liste LFI aux Européennes, prévue ce 18 avril, est interdite par l'université, 48 heures avant sa tenue.  Une atteinte supplémentaire à la liberté d'expression, après d'autres réunions, et après tant de manifestations pro-palestiniennes interdites depuis le 7 octobre. Si l'université invoque opportunément"l'escalade militaire intervenue les 13 et 14 avril", la tenue de cette conférence était, déjà auparavant, critiquée pour un logo figurant sur l'affiche y conviant. Zoom.

Le slogan Libre Palestine, en surimpression sur une carte. La carte, voilà le souci : cette carte recoupe, outre les territoires palestiniens, le territoire actuel de l'état d'Israël.

Sous les hurlements de la droite (Xavier Bertrand, président LR de la région), de l'extrême-droite,  et les protestations d'une partie de la gauche (le député PS Jérôme Guedj), l'Université a donc interdit la conférence. Car cette carte, ainsi que ce slogan et ses variantes historiques -"du fleuve à la mer, la Palestine sera libre"- sont interprétés par les défenseurs d'Israël comme un appel à la "libération" de TOUT le territoire représenté, Israël compris. Donc comme une négation du droit à l'existence de l'état juif. Que d'autres, comme Rima Hassan, justement, l'interprètent autrement, n'y change rien : dans la cour de récré que rappelle parfois l'affrontement israélo-arabe, avec ses ouin-ouin et ses céluikacommencé, ce logo est le terrain de jeu fatigant des ambiguïtés, des hypocrisies et des duplicités.

Or telle n'est pas la ligne de LFI. LFI milite pour la solution à deux états : un état juif, dans les frontières de l'Israël d'avant 1967, et un état palestinien de plein exercice, en Cisjordanie, à Jerusalem-Est et à Gaza. C'est une solution qui exigerait d'Israël de dures concessions, à commencer par le démantèlement de toutes les colonies illégales, et de leurs fous de Dieu surarmés, qui se défendront. En rejoignant la liste de LFI aux européennes, Rima Hassan, dont la préférence "idéale" allait à un état bi-national, avec les mêmes droits pour chacun, s'est rangée à cette ligne. Sans enthousiasme excessif (écoutez-la ci-dessous), mais elle s'y est rangée. En échange des concessions qu'exigera d'Israël la solution des deux états, elle a elle-même concédé, ce verbe qui commence et finit si mal, et qui est pourtant la base de toute négociation.

Puissance invitante de la conférence, l'association étudiante Libre Palestine, dans un communiqué remis à l'AFP (par LFI, et non par elle-même, a cru devoir préciser l'AFP) a rédigé une phrase d'explication que je vous laisse relire à loisir pour tenter de la comprendre. "Nous avons simplement mobilisé une carte qui représente une région du monde traversée par un processus de colonisation indéniable et dont la définition des frontières est un enjeu de luttes non stabilisées", ajoutant n’avoir "jamais promu la haine ou proféré des propos antisémites". Etrangement, cette phrase (qui ne dément d'ailleurs pas souhaiter la disparition d'Israël) ne figure pas dans le communiqué publié (ensuite) par l'association elle-même.

 A croire décidément que le sujet pousse les plus scrupuleux, les plus balancés, dans leur écartèlement, aux formulations incompréhensibles, l'excellent Arié Alimi lui-même semble y avoir cédé, dans un "soutien" étrange à Jérôme Guedj.

Deux états, et le démantèlement des colonies : puisque telle est la ligne adoptée (et Mélenchon la défend fort bien), quand on est un mouvement politique responsable aspirant à gouverner, on défend cette ligne. On ne la défend pas du bout des lèvres, on la défend vraiment, y compris devant des étudiants de vingt ans à qui toute concession à l'adversaire arrache les tripes, en leur expliquant avec pédagogie que c'est la seule lueur d'espoir, mince, fragile, lointaine, désespérément abstraite, mais la seule à laquelle se raccrocher, et que non, on ne peut pas associer le nom du mouvement à un logo ambigu. On ne ruse pas. On ne biaise pas. On ne tente pas le petit jeu du suivez mon regard, ou du read my lips. On n'offre pas sur un plateau des arguments à la mauvaise foi haineuse du camp d'en face. Sinon cela s'appelle tirer contre son camp. 

On défend cette ligne désespérément puisqu'on a décidé, la mort dans l'âme peut-être, que c'était la seule, même irréaliste vue d'aujourd'hui. Mais pour cela, il faut parvenir à défendre l'indéfendable cause du colonisateur israélien, autant que la cause perdue du colonisé palestinien, et vice-versa. Il faut vouloir sauver Israël de sa propre folie génocidaire avec la même force qu'on veut rendre leur dû aux descendants de la Naqba. Embrasser avec la même force ces deux causes désespérantes. Dans l'Orient compliqué, désolé de me tenir à des idées simples.


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