Gaza : double standard dans les silences

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 125 commentaires

Deux interviews, à quelques heures d'intervalle, sur deux chaînes de service public. Rima Hassan, candidate aux Européennes sur la liste LFI, est interrogée sur France Info par Gilles Bornstein. En voici un extrait, posté sur les réseaux sociaux.


La veille, Anne Sinclair, journaliste retraitée, est "interrogée" par Anne-Elizabeth Lemoine sur France 5.


Sur le fond, dans ces deux extraits, les deux invitées tiennent des propos, disons ... contestables, discutables, polémiques, controversés (accoler l'adjectif de son choix). Rima Hassan dément que le slogan "de la rivière à la mer" puisse prêter à ambiguïté, et être interprété dans un autre sens que celui qu'elle lui donne. De fait, il se trouve pourtant que ce slogan est interprété autrement par "un certain nombre de gens, qui considèrent que les Juifs n'ont pas le droit d'exister, et pour qui ça veut dire expulsion des Juifs", m'expliquait Rony Brauman, hier, sur notre plateau de Je vous ai laissé parler, ajoutant que "dans l'absolu, cela veut dire un pays délimité par des frontières claires, dans lequel les citoyens jouissent de droits égaux"Peut-être ces interprétations sont-elles de très mauvaise foi (et France Info diffuse dans la même émission une interview de 1969 de Yasser Arafat l'interprétant comme Rima Hassan). Mais, avec la variante "Libre Palestine" sur fond de carte englobant l'actuel Israël,elles sont possibles. Ce double sens est la définition même de cette "ambiguïté", que Gilles Bornstein, sur FranceInfo, souligne à raison. 

Pour sa part, à propos du blocage et de l'occupation de Sciences Po, comme des universités américaines, Anne Sinclair affirme que "l'antisionisme aujourd'hui est la forme moderne de l'antisémitisme". "Tous les antisionistes ?" demande Patrick Cohen en levant un sourcil. Oui, tous. Or, toujours pour reprendre Brauman, cette confusion volontaire des partisans d'Israël, entre Israéliens et Juifs, constitue "une politique de communication pensée" par les dirigeants israéliens.

Ne nous attachons pas au sens, mais à la forme des interviews. Hassan affronte une grêle de questions sur "l'ambiguïté". A l'inverse, quand un invité interprète le slogan de manière contraire, il n'est pas interpellé sur le double sens du slogan (ce matin encore Pierre Moscovici sur France Info). Quant à elle, seulement interrompue d'un timide "tous  ?" Sinclair déroule son élément de langage pro-israélien dans un silence religieux, comme Elisabeth Badinter la veille, sur le même plateau.  Qui ne dit mot consent : ce silence est un signe adressé au téléspectateur que l'invité exprime une vérité incontestable. A l'inverse, la grêle d'interruption signale l'invité "controversé", qu'on invite parce qu'il faut bien donner la parole à tout le monde, mais dont il importe de se méfier. Le "deux poids deux mesures", le "double standard", se débusquent aussi dans les silences.


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