Remplacement contre réchauffement : match du siècle sur BFMTV

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 149 commentaires

Alors ? Alors, un bon débat. Viril, vivant, testostéroné. À la loyale. Agréable. Chacun des deux à son meilleur, respectueux et tout et tout. Personne n'aura changé d'avis, mais les avis auront été confortés. Résultat : voilà, c'est fait. Mélenchon a ouvert à Zemmour les portes de la légitimité, comme jadis Tapie à Le Pen père, sous l'arbitrage de Paul "gants de boxe" Amar. Qui, désormais, refusera encore de débattre avec Zemmour ? Le "grand remplacement" est intronisé dans les challengers légitimes du "grand réchauffement", prenez les paris, choisissez votre champion, et admirez son jeu de jambes. La fameuse "fenêtre d'Overton" est grande ouverte à droite. Zemmour exploserait-il en vol, ce qui est toujours possible, que Marine Le Pen, avec ses chats et ses plantes (Mélenchon dixit) apparaîtrait comme un substitut raisonnable, tellement rassurant.

S'il ne s'était agi que de fabriquer une bonne soirée télé, bravo BFMTV. Mais ce n'est pas que cela. Derrière les deux géants du ring, derrière Cassius Mélenchon et Eric Frazier, se tient, timide, tremblante, vaincue d'avance, une intruse : la vérité. La vérité ? En dépit de la mise en scène, par BFMTV, d'une "cellule de fact-checking", forte de "dix journalistes spécialisés", intervenant deux fois au cours de l'émission, la pauvre a été, comme prévu, laminée et essorée. Particulièrement emblématique, l'épisode des fraudes. Quelles fraudes ? Non, pas l'optimisation fiscale, et ses centaines de milliards perdus. Mais les "fraudes sociales", marronnier de la droite (choix qui constitue, à lui seul, une victoire de Zemmour). À combien se montent-elles en France ? 50 milliards, comme l'a avancé Zemmour, ou un milliard, comme l'a répondu, selon les fact-checkeurs de BFM, la Cour des comptes ? Voici l'échange.


Le chiffre de Zemmour se fonde sur un livre de l'ancien magistrat Charles Prats, habitué des plateaux de Sud Radio et des colonnes de Valeurs actuelles. "Il est extrêmement difficile de connaître les détails de son calcul" avance la journaliste. "Il suffit de lire son livre, il détaille, avec les deux millions de fausses cartes Vitales" réplique Zemmour. Mélenchon : "C'est faux. Vous êtes pas capable de faire la part entre les cartes imprimées, celles qui circulent vraiment, vous y connaissez rien". Gong. Fin du round. Soigneurs !

Or, il se trouve que Prats, en effet spécialiste de la fraude sociale, est aussi un habitué de tout ce que la presse compte de fact-checkeurs. Chacun de ses chiffres a été trituré, et ramené à ses manipulations. D'où il ressort que : le surnombre spectaculaire de cartes Vitales, qui avait nourri en 2019 une sensationnelle campagne de presse (voir notre enquête, en accès libre) inclut aussi des cartes inactives ;  les numéros de Sécu soi-disant frauduleux incluent de simples anomalies, comme une photocopie de mauvaise qualité ; un numéro de Sécu, même faux, n'ouvre pas forcément droit à des prestations comme le relevait Cédric Mathiot, chef de la rubrique CheckNews de Libé (et notre invité de la semaine dernière). Etc etc.  Résultat : tout "débat" avec un interlocuteur proclamant sa confiance en des sources non contradictoires est pipé d'avance. On le savait déjà ? Oui.

Lire sur arretsurimages.net.