Refroidir les sondages : l'exemple Mein Kampf

Daniel Schneidermann - - Médias traditionnels - Déontologie - Le matinaute - 125 commentaires

Ouest-France ne commandera aucun sondage présidentiel. Et Ouest-Francene commentera même plus les sondages commandés par ses concurrents, annonce son rédacteur en chef François-Xavier Lefranc. Cette initiative radicale s'est aussitôt assurée de chaleureuses félicitations sur les réseaux sociaux, et dans la classe politique (voir ici celle du socialiste Olivier Faure, qui rappelle avec raison le dernier fiasco sondagier en date, sur le score des socialistes aux dernières régionales). Les Titanic sondagiers sont désormais un ingrédient obligé, et distrayant, des soirées électorales. Si un sondeur masochiste réalisait dans l'opinion un sondage sur l'initiative de Ouest-France, je suis certain qu'elle recueillerait un taux d'approbation impressionnant.

Personne ne défend les sondages politiques, et surtout pas nous, ici, qui leur avons consacré un nombre infini d'enquêtes et d'émissions (voir notre dossier). Oui, c'est un poison démocratique. Cependant, ils existent, et existeront. Et non seulement ils existent, mais – attention, opinion choquante ! – il me semble parfaitement légitime de mesurer les intentions de vote des électeurs avant une élection, et de publier ces informations. C'est une donnée parmi d'autres. Comme par hasard, ce sont surtout les candidats les plus mal placés, qui sont le plus énervés par les sondages (et la colère de Faure, soutien de la campagne Hidalgo qui n'en finit pas de pédaler dans la semoule, est significative). Que leur candidat remonte de trois quarts de point, et la conversion est immédiate. 

Puisque ce poison existe, et est largement diffusé, il faut faire avec. Faire avec, en distribuant le plus généreusement possible les doses d'antidote avec le poison. L'antidote ? Déjà, cesser, comme nous le faisons ici, d'appeler "instituts" les fabricants et vendeurs de sondages. Ensuite, insister sur leurs recettes d'arrière-cuisine. La marge d'erreur. Le redressement des chiffres bruts. La taille de l'échantillon. La méthode (face à face ? Téléphone ? Internet ?). Le libellé des questions. Le pourcentage de sondés "certains d'aller voter". La présentation par Le Monde de son dernier sondage Ipsos-Sopra Steria me semble à ce point de vue exemplaire. Regardez-le. Déjà, il faut faire un effort pour comprendre les résultats, ce qui rend plus difficile les sommaires reprises de presse. Ca tombe bien, c'est justement l'objectif. Le sondage en lui-même est moins toxique que ses reprises. 

Les deux objets n'ont bien entendu rien à voir, et leurs toxicités ne sont pas du même ordre, mais j'avais été frappé, voici quelques années, par la formule du traducteur de l'édition critique de Mein Kampf, chez Fayard, Olivier Mannoni : "Il faut refroidir Mein Kampf." Le rééditer, d'accord, mais en étouffant soigneusement tout son potentiel toxique par un volumineux appareil critique. Il faut refroidir les sondages.


Lire sur arretsurimages.net.