Les lepéno-banalisés

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 177 commentaires

C'est reparti comme au bon vieux temps. BFMTV tape en boucle sur Mélenchon. Christophe Barbier, éditorialiste : "Son projet n'a jamais été l'union, mais la digestion de la gauche. Son  nouveau poste de combat c'est la provocation". Amandine Atalaya, journaliste : "Il agit instinctivement, et se laisse aller à son envie de dominer, et d'être le patron. Ça renvoie une image d'amateur, là où Marine Le Pen pourra dire qu'elle a un groupe solide, qu'elle est la cheffe d'un parti élu sur un programme commun". Duhamel (le jeune) : "La Nupes apparaît mort-née. C'est un péché d'hubris de celui qui veut continuer à exister dans le débat." Bref, "Mélenchon fait le spectacle, Marine Le Pen en récolte les fruits". (Je dis Duhamel-le-Jeune, pour qu'on distingue Benjamin Duhamel de Duhamel-l'Ancien, prénommé Alain. Fascinante dynastie à la Grimaldi. S'il dure aussi longtemps que son oncle, le fils de Patrice Duhamel et Nathalie Saint-Cricq commentera encore... en 2070, devant mes arrière-arrière-petits enfants, la sixième réélection de la présidente Maréchal).

Que s'est-il passé ? Au vu de l'entrée inattendue à l'Assemblée de 89 députés RN, le Vieux Sage a promptement dégringolé de sa montagne pour proposer que les groupes parlementaires de gauche s'unissent dans un unique groupe Nupes de 144 membres, afin de s'afficher comme le premier groupe d'opposition. Sollicités par BFMTV, les porte-parole PS, PC et EELV l'ont immédiatement renvoyé à sa retraite. Après quelques heures à peine, c'est marche arrière toute. Ex-présidente du groupe des Insoumis, Mathilde Panot propose une "présidence tournante" pour le futur hypothétique hyper-groupe. Et le soir, c'est Adrien Quattenens qui, toujours sur BFMTV, dégaine la plus savoureuse excuse à l'Ogre : "Il a vu vos collègues, qui patientaient à la grille. Il a voulu leur dire quelque chose".

Il est vrai que pour décrocher le poste important de président de la commission des finances, réservé par le règlement de l'Assemblée (article 39, j'ai révisé hier) à un député appartenant à un groupe d'opposition, la fusion des groupes de gauche n'est pas nécessaire. S'ils s'entendent sur un nom, socialistes, communistes, écolos et Insoumis peuvent le faire élire, et barrer la route de ce poste au RN. Il est vrai aussi que la fusion conduirait à réduire les prérogatives et avantages divers des députés ayant fusionné. Vrai enfin que la "proposition" de Mélenchon, rompant avec l'accord Nupes, a été pour le moins cavalière vis-à-vis de ses partenaires et, sous cette forme, ne pouvait s'attirer que des refus immédiats.

Mais la surréaction de BFMTV montre une chose : aux yeux de la grimaldie médiatique, on se trouve dans une situation politique normale. Ne leur dites pas que 89 élus lepénistes entrent à l'Assemblée. Ne leur dites pas que sous la ripolinisation banalisante, ils n'ont renoncé à rien de leur programme xénophobe. Ne leur dites pas qu'il y a le feu, et qu'il peut être utile de crier au feu. Ce que rappelle l'incident, c'est qu'ils sont aussi insensibles au danger d'extrême droite qu'Apolline de Malherbe, devant une jeune militante du climat, à la catastrophe climatique.

BFMTV n'est pas la seule. La chaîne de Marco Fogiel est spectaculairement à l'unisson de la macronie politique, qui n'a jamais appelé au front républicain pour le second tour des législatives. À l'unisson d'Éric Dupond-Moretti  passant de la proposition d'interdire le FN à celle de "s'entendre avec lui". À l'unisson de la députée LREM réélue Aurore Bergé, jugeant "compliqué" de définir qui est le candidat le plus républicain "entre François Ruffin et le RN”. À l'unisson de Céline Calvez, nouvelle députée LREM : "Quand on a besoin d'avoir une majorité et si c'est bon pour les Français, on va aller chercher les voix du Rassemblement national""Entre les progressistes qui veulent augmenter les impôts sur les riches, et les extrémistes de droite anti-immigrants, le «centriste» pro-business Macron n'a pas pu choisir", a tweeté Bernie Sanders cette nuit. Mais si, Bernie. Il a parfaitement confirmé que son ennemi favori pouvait bien devenir son partenaire favori.


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