Le protocole d'Ibiza

Daniel Schneidermann - - Investigations - Le matinaute - 105 commentaires

On est injuste avec Ibiza. On est injuste, en réduisant les Baléares aux folles soirées du DJ David Guetta, et en imaginant immédiatement Jean-Michel Blanquer se trémoussant dans une soirée bain moussant. La preuve : Juan Miguel Costa, directeur du tourisme de l'île, s'est opposé l'an dernier au tournage par Netflix de la version espagnole de L'île de la tentation, faisant part à la production de son "profond malaise quant à l’aperçu qui sera donné de l’île, vue comme une destination où règnent les clichés et les stéréotypes, offrant une image totalement dégradée", qui selon lui "n’est pas représentative" d’Ibiza (je cite Courrier International). "Au lieu de vous retrouver dans une maison ou en discothèque, visitez le musée d’art contemporain ou ses murs de la Renaissance" a suggéré le directeur du tourisme.

On est injuste avec Jean-Michel Blanquer. Pourquoi ne pourrait-on pas concevoir un magnifique protocole sanitaire pour rentrée scolaire de janvier en visitant un musée d'art contemporain aux Baléares ? D'ailleurs, le retard du protocole (la veille de la rentrée) n'est pas imputable à la distance, mais à l'avis tardif du Haut conseil de la santé publique (HCSP), reconnait Mediapart lui-même. D'ailleurs, en prenant ses vacances "en Europe, et à moins de deux heures de Paris", il s'est conformé aux préconisations de Matignon, même si l'entourage de Castex a glissé au Mondeque cette destination lui avait été déconseillée. Le président, qui "emmerde" les non-vaccinés, ne voit sans doute aucun inconvénient à "emmerder" les profs et les parents. 

On est injuste avec Le Parisien, qui a illustré son entretien en visio du 1er janvier avec Blanquer avec une photo du ministre au travail, datant du mois précédent (sans préciser qu'il s'agissait d'une image d'archives, ni d'un entretien en visio). Pour le bilan carbone, le directeur du journal Jean-Michel Salvator a pris une excellente décision, en renonçant à envoyer un photographe à Ibiza.

Je pourrais continuer. Mais en vrai, les mots me manquent. Pourquoi, avec  cette révélation de Mediapart, ce sentiment que cette fois, c'est la désinvolture dont on ne se relève pas ? Un amateurisme ministériel est-il plus pardonnable si le ministre se trouve à Paris ?  Des vacances dans le Gers lui auraient-elles valu davantage d'indulgence ? De fait, ce n'est pas la première fois que sous l'image austère de papy anti-woke se pointe l'image du danseur, au point qu'un dessinateur, Remedium, en avait fait une BD prémonitoire, parue le 6 janvier.

Au moment de rédiger les bulletins trimestriels, les profs sont toujours plus indulgents envers le cancre qui "fait des efforts". C'est une considération morale que l'on peut juger dépassée, mais qui persiste inexplicablement. Ce cancre-là n'en fait aucun, va danser quand la classe trime, et multiplie les doigts d'honneur. Insauvable.


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