Filmer la meute, créer la meute

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 54 commentaires

C'est un plan séquence de sept minutes trente deux. Sept minutes trente deux qui ne disent rien, et ne montrent que l'image d'un type disparaissant parfois derrière ses gardes du corps, bousculé par les caméras dans les escalators d'un bâtiment moderne, genre grand magasin, ou palais des congrès. C'est un palais des congrès, celui de Nice, où Zemmour se rend pour une "conférence littéraire", cache-sexe d'un meeting. L'info, c'est la bousculade : la bête médiatique se nourrit d'elle-même, autocannibalisme sans fin. Dix caméras qui veulent l'image d'une bousculade de caméra créent la bousculade de caméras, qui ressemble pour les distraits à une bousculade de supporters. Rien de plus simple. Pour le reste, que dit ce plan-séquence qu'on ne sache déjà ? On vous connaît, Nice et Toulon. Vous offriez déjà des scores à plus de 30 % au père Le Pen dans les années 80, quand c'était lui qui nous faisait trembler. Rien de neuf. Un peu de mémoire, confrères !

Tout de même, saluons l'exploit du JRI. Il s'appelle Adriaan Ako, nous précise Paul Larrouturou, qui met en ligne ce plan séquence. Larrouturou, c'est cet ex de l'équipe Yann Barthès, passé chez Ruth Elkrief (laquelle est passée de BFMTV à LCI, vous suivez ?) pour continuer de faire en 2022 avec Zemmour ce qu'il faisait en 2017 avec Macron : jouer des coudes dans la meute pour filmer la meute, dans l'emploi enviable et disputé du "RIO" (reporter impertinent officiel). Jouer des coudes. Ne pas se laisser distancer. Saluons Adriaan Ako, qui ne s'est pas laissé distancer, de l'entrée dans le bâtiment à l'arrivée sur scène de la salle Agora, et capte au passage cette confidence sur l'écriture illisible de Zemmour : "Quand mes copains voulaient copier sur moi, ils n'y arrivaient pas" (les choses ont bien changé).

Ne pas se laisser distancer. C'est un des ressorts du déprimant spectacle actuel. Comme dit Frédéric Lordon, dans son dernier texte sur la zemmourisation de la tranche matinale de France Inter, "faire sauvegarde suppose de se mettre en travers du courant général. Au lieu de quoi, la tête étrangère à ce qui se joue réellement, le commentariat n’a d’autre obsession que de ne pas se laisser distancer par le mouvement collectif." Dans le même texte, en référence au déprimant spectacle, Lordon cite Berlin 1933. Ce n'est pas moi qui le dis, je ne me permettrais pas, mais je ne saurais lui donner tort.


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