Sarkozy sur France Culture : un épisode et puis s'en va

Loris Guémart - - Médias traditionnels - 36 commentaires

"À voix nue" n'a pas tout diffusé pour suivre les règles du CSA

Inviter Nicolas Sarkozy pour papoter culture et histoire politique en toute cordialité, en cinq entretiens de trente minutes : le choix de France Culture n'a pas plu à tous ses auditeurs. Mais ce n'est pas pour cette raison que l'émission a été déprogrammée après le premier épisode. Explications.

Lorsque France Culture décide de tendre le micro à l'ancien président Nicolas Sarkozy en cette rentrée, elle ne fait pas les choses à moitié : lundi 20 septembre, la radio annonce ainsi sur Twitter son choix de se faire son porte-voix pendant pas moins de deux heures trente à travers l'émission À voix nue, qui propose de longs entretiens intimistes avec des personnalités. Cette fois-ci, l'annonce, accompagnée d'un extrait pendant lequel Sarkozy déclare "Est-ce que j'aurais pu être de gauche ? Je ne me suis jamais assez aimé pour être à ce point narcissique", déclenche des réactions agacées.

"Radio France (deniers publics donc) consacre 5 épisodes à Sarkozy, condamné à 3 ans de prison, dont 1 an ferme, pour corruption et trafic d'influence. Sa voix seule. Pourquoi ? Lui servir la soupe ? Comment alimenter encore plus la défiance envers les médias...", s'indigne ainsi sur Twitter la journaliste indépendante Louisa Amara. L'entretien est mené par la journaliste du Point Marie-Laure Delorme, qui avait déjà réalisé des À voix nue avec Carla Bruni ou Jean-Pierre Elkabbach, entre autres. 

Un épisode le lundi, et puis plus rien

Le À voix nue de cinq épisodes spécial Sarkozy prend prétexte de son dernier livre consacré à ses goûts culturels, Promenades, pour remonter le fil de sa vie. "Merci Monsieur le président, on se retrouve demain pour votre livre Promenades", conclut la journaliste ce soir-là. Mais le lendemain, à la surprise des auditeurs, dont un abonné d'Arrêt sur images qui nous a prévenus, pschitt : plus de Sarkozy ! À la place, comme si de rien n'était, la radio diffuse le premier de quatre épisodes d'un entretien avec l'acteur et réalisateur récemment décédé Jean-François Stévenin... une rediffusion de 2018. Que s'est-il passé ? Les réactions énervées des auditeurs sur les réseaux sociaux ont-elles eu raison des entretiens avec Sarkozy ?

La directrice se défend trois jours plus tard à l'antenne

La raison est très simple : la parole de Nicolas Sarkozy doit être décomptée comme celle d'une personnalité politique, suivant les règles du CSA - ce qui complique la tâche pour un média, qui doit en échange inviter une personnalité d'une autre tendance politique sur un temps équivalent. Mais les auditeurs devront attendre le jeudi 23 septembre pour en apprendre un peu plus, par la voix de la directrice de la radio, au micro de la médiatrice de Radio France Emmanuelle DavietSandrine Treiner, qui gère elle-même la programmation des entretiens d'À voix nue, menés à chaque fois par un journaliste différent, commence par justifier longuement l'émission elle-même. Extraits : "On dispose rarement de la possibilité de faire un entretien de deux heures trente avec un ancien président de la République, qu'on l'apprécie ou pas, que l'on soit de son bord politique ou pas, quoi que l'on en pense en somme, je pense que c'est très intéressant."

Elle ajoute que Sarkozy ne s'y exprime "pas sur l'actualité et la campagne", donc "c'est bien autre chose qu'une interview politique, même si tout ce qui concerne un président de la République est évidemment politique". Puis elle bascule, sans le dire explicitement, sur les raisons pour lesquelles seul le premier épisode a été diffusé à l'antenne : "L'À voix nue, comme prévu compte tenu des obligations en matière de temps de parole sur les antennes, les anciens présidents étant désormais comptabilisés, ce qui n'était semble-t-il pas le cas par le passé, est disponible en intégralité en podcast sur notre site et sur l'appli Radio France." À aucun moment la médiatrice ne rappelle que France Culture a abruptement diffusé tout autre chose le mardi sans en avertir les auditeurs... ni que sa directrice se trompe à propos des règles du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

France Culture louvoie par rapport aux règles du CSA

La veille, les échanges entre ASI et France Culture ont été fluctuants. On a d'abord expliqué à ASI que la radio s'était aperçue après la première diffusion que la parole de Sarkozy allait être comptabilisée. Changement de version quelques heures plus tard : tout était prévu, bien sûr on savait qu'il ne faudrait pas diffuser tous les épisodes, et "l«à demain» n’est rien d’autre qu’une habitude des À voix nue." 

Par ailleurs, la "règle" invoquée par Treiner à l'antenne, et auprès d'Arrêt sur images, est fausse. Quand la directrice avance que "les anciens présidents" sont désormais comptabilisés et que cela représente un changement, c'est inexact. Nous avons posé la question au CSA : "Nicolas Sarkozy est décompté au titre des «Républicains» car selon les statuts de cette formation, le conseil national est notamment composé des «anciens présidents de la République»", nous a répondu l'institution, qui conclut : "Comme toute personnalité politique, l’ensemble de ses propos sont décomptés." [sic] Rien à voir avec son statut d'ancien président. Était-ce difficile à dire ? Tout semble manifestement plus compliqué quand l'erreur vient directement de sa directrice.


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