Affaire "Le Point" : le passif du journaliste Aziz Zemouri

Loris Guémart - Maurice Midena - - Intox & infaux - Déontologie - 43 commentaires

Le "Point" dépublie une enquête mettant en cause le couple de députés LFI Alexis Corbière et Raquel Garrido

Les abonné·es d'"Arrêt sur images" connaissent bien Aziz Zemouri, condamné à cinq reprises pour diffamation depuis son tout premier reportage télé en 1995. C'est lui qui a écrit l'enquête du "Point" accusant le couple de députés LFI Alexis Corbière et Raquel Garrido d'employer une femme de ménage "sans titre de séjour et soumise à des cadences infernales", un article dépublié depuis, qui a fait l'objet de plusieurs contre-enquêtes et d'excuses de la part du directeur de la publication du "Point". Aziz Zemouri a été cinq fois condamné pour diffamation dans le cadre de son travail. Notre article comprend un extrait de notre émission "Arrêt sur images" du 30 septembre 1995, où l'on voit Julien Dray défendre a priori Aziz Zemouri à propos d'un reportage sur le trafic d'armes en banlieue.

"On n'a pas passé une bonne journée. C'est assez bouleversant pour une rédaction". Les mots de ce membre de la société des rédacteurs (SDR) du Point à ASI sont retenus, mais disent l'émoi qui traverse la rédaction de l'hebdomadaire. Mercredi 22 juin, le journaliste Aziz Zemouri publie une information "exclusive" : Alexis Corbière et Raquel Garrido emploieraient une femme de ménage "sans titre de séjour et soumise à des cadences infernales". Un article très largement relayé sur Twitter. Jeudi 23 juin, le lendemain de la parution de l'article, l'hebdomadaire l'a dépublié de son site internet. De la mémoire du membre de la SDR joint par Arrêt sur images,"ça n'est jamais arrivé" au Point. 

L'accroche de l'article donnait le ton : "Côté cour, Raquel Garrido et Alexis Corbière, le couple de députés de La France insoumise, élus en Seine-Saint-Denis, pourfendent l'exploitation de la misère et militent pour la régularisation des sans-papiers. Côté jardin, ils emploient une femme sans papiers comme bonne à tout faire." Suit le récit édifiant de sa supposée exploitation par le couple d'élus, le fait que le couple aurait gardé un appartement à Paris pour contourner la sectorisation scolaire (ils vivent à Bagnolet), etc. À la fin de l'article, il est simplement noté que Raquel Garrido nie"fermement les faits". Dans la foulée de la parution, l'élue publie en effet sur Twitter un communiqué réaffirmant haut et fort que tout est faux. En réponse, Aziz Zemouri partage sur le même réseau social des captures d'écran de supposés échanges entre Garrido et la dite femme de ménage. La députée aurait écrit : "On te met un toit sur la tête, on te fait travailler donc soit t'es reconnaissante, soit je prends quelqu'un d'autre maintenant, stop." 

Rapidement, des doutes planent autour de la fiabilité de "l'enquête". Dès le 23 juin, le service de fact-checking de Libération, CheckNews, pointe les "incohérences importantes" de l'article du Point : les captures d'écran des SMS semblent être des faux ; aucun des enfants du couple n'est scolarisé à Paris. Mediapart écrit le même jour que l'enquête de Zemouri est "truffée d'erreurs". Une de ses "preuves", une photo de l'intérieur de l'appartement parisien du couple qui aurait été prise par la femme de ménage, est en fait une photo disponible en ligne, qui a été recadrée. Mediapart a aussi pu vérifier qu’entre mai et juin, aux dates mentionnées par Zemouri, la fille du couple était récupérée à l’école non par une employée, mais par ses grands-parents. 

Face aux journalistes de Mediapart, Zemouri semble s'emmêler les pinceaux, change de version, explique qu'il n'a en fait pas rencontré "d'intimes" de la femme de ménage, ni la femme de ménage elle-même. Face à cette accumulation d'errances, le Point supprime l'article de son site. Le directeur de la publication du Point, Étienne Gernelle, a indiqué par communiqué, ce jeudi 23 juin, que "les vérifications complémentaires que nous avons menées nous ont révélé que des erreurs et manquements à la prudence avaient été commis". Gernelle n'a pas répondu à nos sollicitations. 

Cinq condamnations pour diffamation

Ce n'est pas tout à fait la première fois que le journaliste du Point fait preuve de graves manquements déontologiques. Aziz Zemouri est d'ailleurs bien connu des abonnés d'ASI, et ce depuis septembre 1995. Son premier reportage de télévision est diffusé par France 2, dans le premier épisode de l'émission La Preuve par l'image, dont le principe reposant sur la caméra cachée entraîne tant de critiques qu'elle est aussitôt déprogrammée. Martine Aubry, alors maire socialiste de Lille et responsable de la fondation Agir contre l'exclusion, tient une conférence de presse pour dénoncer comme étant "bidonnée" une séquence d'Aziz Zemouri sur le trafic d'armes en banlieue. Sur notre plateau, le journaliste d'ASI Arnaud Viviant explique ainsi que la soi-disant kalachnikov montrée dans La Preuve par l'image est en réalité de calibre 22 long rifle, soit très loin d'une arme de guerre.

Lire sur arretsurimages.net.

Cet article est réservé aux abonné.e.s