Macron et Mbappé en finale : le vent le plus politique ?

Pauline Bock - Maurice Midena - - Coups de com' - Les énervé·es - 104 commentaires

Dimanche 19 décembre, la France a perdu la finale. Au-delà de cette rencontre époustouflante qui clôt une Coupe du monde qu'il "ne fallait pas politiser", dixit Emmanuel Macron, une image a fait beaucoup rire les médias internationaux : celle des accolades forcées du président de la République à la star des Bleus. De quoi faire du vent intersidéral que met Mbappé à Macron un vrai geste politique ?

Drôle de Coupe du monde que celle au Qatar, qui, depuis son attribution en 2010, n'a cessé d'être secouée par des scandales de corruption ou de piétinement des droits de l'homme. Sur le plan sportif, le dénouement fut, lui, pour tout fan de foot, un moment exceptionnel de dramaturgie, l'Argentine l'emportant aux tirs au but face à une équipe de France miraculée. Après le coup de sifflet final, l'image du président de la République, Emmanuel Macron, essayant de réconforter Kilian Mbappé, champion déchu, a fait le tour de la planète. Deux journalistes de la rédaction jettent un œil à cette scène de la finale : de l'arrogance à la récupération, le geste le plus politique de cette scène n'est pas celui qu'on croit.

À l'étranger, un président "gênant" montrant "arrogance et ignorance"

Les Bleus ont fasciné les téléspectateurs du monde entier avec leur remontée exceptionnelle en seconde mi-temps. Mais l'image qu'on retient de la France à l'étranger en cette finale est surtout celle du président Macron se précipitant sur le terrain pour imposer sa séance photo-pas-politique à un Kylian Mbappé éteint, qui vient de voir la victoire lui passer sous le nez. 

La presse anglophone s'amuse beaucoup de cette volonté jupitérienne de s'insérer là où personne ne veut de lui – de "photobomber", résume un journaliste du New York Times. Le tabloïd britanniqueDaily Star, qui comparait il y a quelques mois l'ex-première ministre Liz Truss à une salade, critique "l'attitude malaisante" du président français, tandis que le Daily Mail moque ses "tentatives maladroites et répétées" en faisant dire à Mbappé : "Laissez-moi tranquille, monsieur le président !" Le New York Times fait passer le message avec plus de raffinement mais tout autant d'humour, ouvrant son article sur ces mots : "Le président de la France attendait patiemment sur l'herbe, mais Kylian Mbappé n'était pas prêt à être consolé… Pas encore. Le président français devrait attendre." 

Dès le 9 décembre, un article du Guardian sur l'attaquant français prédisait la scène : un fan français y expliquait craindre que "Macron ne se mette au centre de la scène, ce qui gâcherait la fête", et qu'il "n'utilise l'humeur festive [d'une potentielle victoire] pour appliquer sa réforme contestée des retraites"Face à la mise en scène macroniste, les journalistes internationaux oscillent entre frustration et gêne par procuration. L'auteur britannique Musa Okwonga, qui tient un podcast sur le foot, s'est amusé de voir Macron "s'accrocher à Mbappé comme un noyé à une planche de bois" seulement quelques jours après avoir déclaré qu'il ne fallait pas "politiser le foot", tandis qu'un journaliste du Los Angeles Times exprimait son dégoût : "Mbappé ne voulait pas du tout être touché par Macron, c'était tellement gênant. Et ne touchez jamais la tête et les cheveux d'une personne noire, qu'est-ce qu'il fait ?!" 

Ces critiques de "paternalisme suffisant", que l'on retrouve aussi chez des supporters français, sont au cœur d'un article du média sportif indien The Bridge sur les raisons de Kylian Mbappé de "snober" Macron qui "tentait désespérément d'apparaître aux yeux du monde comme son meilleur ami". Certes, l'attaquant était épuisé et déçu, écrit The Bridge. Mais surtout, Macron a montré "de l'arrogance et de l'ignorance" en lui touchant les cheveux, "un geste vu comme inapproprié". Explications : "Les cheveux crépus sont historiquement le sujet d'un débat complexe et les toucher peut être vu comme un acte politique", écrit The Bridge en le qualifiant de "micro-agression". Avant de conclure : "On peut raisonnablement affirmer que Macron ébouriffant les cheveux de Mbappé n'était pas du tout la merveilleuse opportunité de photo de communication qu'avait imaginée le président." Au lieu du chef de l'État éclaboussé de la victoire des Bleus, voilà Macron en président forceur, paternaliste, dégoulinant de malaisance. Et vive la France !

- Pauline Bock

Le vrai geste politique, c'est le vent que lui met Mbappé 

Au-delà de toute mesquinerie, la première image montrant Macron s'approcher de Mbappé avait quelque chose de sublime : le président de la République venant réconforter le leader de l'équipe nationale. La photo aurait suffi. Mais Macron, en politique comme en récupération, ne sait jamais s'arrêter. Il a insisté, voulu glisser des mots à Mbappé, a forcé pour avoir un échange. Le problème n'est pas le geste seul, il est dans l'abîme de sa durée. D'autant que finalement, Macron n'a eu de cesse d'utiliser Mbappé pour sa communication personnelle : en en faisant un invité "surprise" lors de son numéro de propagande chez les youtubeurs McFly et Carlito, ou en rappelant qu'il avait grandement insisté auprès de la star pour qu'il reste à Paris alors qu'il était annoncé en partance au Real Madrid. 

Il a affirmé qu'il ne fallait pas "politiser le foot" ? Il utilise l'icône tricolore pour soigner son image politique. Mais comme au théâtre, se donner la réplique exige que les deux acteurs participent. Car la com', c'est un truc cadré, qui se prépare, et le storytelling se heurte ici à la réalité des faits : le chagrin d'un jeune homme qui, presque à lui seul, avait fait basculer vers le récit mythique une finale de Coupe du monde d'une désolante pauvreté footballistique chez les Bleus.

Le geste de Mbappé est politique : le numéro 10 est désormais si iconique qu'il peut se permettre de mettre le vent du siècle à celui qui exerce la plus haute fonction de la cinquième République. Et si le foot peut à ce point révéler le ridicule du politique, la scène rappelle aussi aux joueurs leurs propres responsabilités. Ce que Mbappé a déjà en partie compris depuis longtemps, par exemple en demandant un droit de regard sur les sponsors de l'équipe nationale. Si Mbappé reste si fermé face au président, c'est aussi sans doute parce que le joueur est lui-même trop intelligent pour ne pas comprendre qu'une nouvelle fois, le président se sert de son génie pour gonfler son image. La presse s'est focalisée sur l'incruste de l'homme politique, moins sur le bouclier sorti par le joueur de foot. 

Le geste de Mbappé est politique parce qu'il résume à lui seul –  sans doute à son corps défendant – le corps social français. Ce que nous dit le natif de Bondy, c'est qu'il en a assez. Assez de ce président qui ne sait pas rester à sa place, qui ne sait pas s'arrêter, qui ne veut pas le laisser tranquille, qui n'en fait qu'à sa tête. Comme depuis des années, les soignants, les profs, les Gilets jaunes, les étudiants sans le sou et les pauvres crient qu'ils n'en peuvent plus face à cet homme d'État qui enchaîne réformes de l'assurance-chômage, des retraites, 49-3 à la pelle, réductions des budgets, cadeaux fiscaux aux riches, démantèlement des services publics, ce que n'a pas oublié d'ailleurs de rappeler un supporter au micro de TF1 hier soir. Quand Macron donne la leçon, il le fait toujours avec ce même paternalisme, expliquant aux principaux intéressés comment ils devraient faire, tout comme il a pensé pouvoir soigner la tristesse d'un Dieu du football tombé de l'Olympe. Alors, Mbappé a un chagrin qui donne espoir : face à l'indécence macronienne, le garçon à terre l'a emporté.

- Maurice Midena

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